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et Anapos emportent leurs parens sur leurs épaules pour les soustraire aux feux de l’Etna. La piété filiale protège les deux jeunes gens qui traversent sains et saufs la campagne embrasée. On aperçoit dans l’autre les Gorgones endormies et Méduse, la plus belle des trois, surprise dans son sommeil et exposée aux coups de Persée, pour s’être audacieusement comparée à Pallas. Le héros a saisi la tête de Méduse et, sans la regarder, il se dispose à lui trancher le col. Minerve et Mercure assistent le vengeur dans cette difficile entreprise.

Annibal n’aborda pas sans préparation la décoration du camerino ; ses nombreux dessins l’attestent à l’évidence. Au XVIIe siècle, Carlo Maratta, Bellori, le chanoine Vittoria possédaient en assez grand nombre des cartons et des études de ces peintures. Angéloni avait réuni dans son atelier vingt dessins relatifs à la seule composition de l’Hercule soutenant le monde. Tons ces documens ne sont pas perdus ; le Louvre en a recueilli quelques-uns. La Royal Scottish Academy conserve une belle étude de l’Ulysse recevant des mains de Circé le breuvage empoisonné. Ce n’est donc pas en improvisant que Carrache peignit le cabinet ; il lui fallut un persévérant effort pour obtenir le résultat qu’il se proposait.

On ne découvre pas de prime abord la raison de ce labeur acharné. Le cabinet est de proportions restreintes ; la décoration ne soulevait aucun problème épineux ; les compositions scéniques occupent une partie seulement de l’espace ; quant aux sujets adoptés plus ou moins librement par le peintre, ils ne semblent pas, à première vue, compliqués outre mesure. L’apparence, sous ce dernier rapport, est, paraît-il, trompeuse. Bellori nous avertit charitablement que ces fresques comportent une leçon cachée qui échappe au vulgaire. Elles exigent, écrit-il, « un spectateur attentif et ingénieux dont le jugement ne réside pas seulement dans la vue, mais dans l’intelligence. Ils font injure à la beauté, ceux qui, en face des œuvres des plus excellens artistes, se contentent d’y jeter les yeux et ne regardent que les couleurs et l’or, comme si, dans les cérémonies, ils s’en tenaient à la richesse et à la splendeur de l’appareil. » Pour goûter comme il convient la saveur particulière de ces peintures, il faut considérer d’abord le point central : Hercule entre le Vice et la Vertu. La Vertu l’emporte et le héros n’aura pas sujet de s’en repentir, car, après avoir soutenu le monde sur ses épaules et achevé de durs travaux, il