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avec chant, à demi romantique et naturaliste à demi. Le second épisode à lui seul (Le poète appelé par les voix de la Nuit) parut naguère et demeure encore aujourd’hui une grande et belle chose : belle de sentiment et d’exécution, d’abondance et pourtant de sagesse, de rêverie, de mystère et de tristesse pure. Le dernier tableau (Une fête à Montmartre) fit un peu de scandale et beaucoup de plaisir. Plaisir vulgaire, pour ne pas dire davantage ; tableau de genre et de mœurs (du plus mauvais genre et des mœurs les moins relevées), brossé par une main qu’on eut raison d’appeler une patte, car elle poussait la vigueur de la touche au-delà de la brutalité. Mais le mouvement, la couleur, la vie surtout emporta toutes les résistances. On s’indigna un peu, mais on admira davantage. Montmartre entra dans la symphonie lyrique ; la Butte avait trouvé son musicien.

Aujourd’hui encore il lui demeure fidèle. C’est à Montmartre qu’il a demandé l’inspiration ou l’esprit, les personnages, le décor et souvent le langage de son « roman musical. » Il est très simple, ce « roman » et ne consiste que dans les amours contrariées et victorieuses tour à tour de Louise, une ouvrière, et de Julien, poète de brasserie et bohème. Premier acte : les parens de Louise refusent leur consentement au mariage. Acte second : Louise quitte son atelier de couture et sa famille pour suivre Julien. Acte trois : Louise goûte les douceurs de l’union libre ; elle est proclamée et couronnée Muse. Mais sa mère, au nom de son père malade, vient l’arracher aux délices réunies de la passion et du couronnement. Dernier acte : les parens, ayant repris leur fille, entendent la garder. Louise, résignée d’abord, ne tarde pas à se révolter ; suppliée en vain, puis maudite, puis chassée par son père, elle retourne à ses amours.

Avant de contester la « musicalité » du sujet, louons bien vite et bien haut le talent du musicien. La musique de M. Charpentier est ingénieuse et elle est claire ; elle a le charme souvent, quelquefois la puissance, et surtout et toujours elle a la vie. Elle nous gagne tout d’abord par l’agrément des sonorités. Je veux bien que l’instrumentation ne soit que le dehors et comme le vêtement ou la parure de la musique, mais ici, le dehors est délicieux et nous engage. L’abus des violoncelles et des harpes fait quelquefois le vêtement un peu lâche, un peu clinquante la parure. Il n’en est pas moins vrai que par la tenue générale, par le concours ou la division des élémens, par la valeur expressive et psychologique des timbres, l’orchestre de M. Charpentier est décidément d’un « jeune maître ». Il atténue et fond certaines harmonies ; il rend leur passage plus facile et moins rude leur rencontre.