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voulons pas ici reproduire tous les argumens, a donné plus de développemens à sa thèse, et il a prouvé avec force que la liberté, en matière d’enseignement, était conforme : à l’intérêt de l’individu, car elle n’est qu’un prolongement et comme une application nouvelle et nécessaire de la liberté de penser et d’écrire ; à l’intérêt de l’Université, qu’elle a obligée à marcher plus vite dans la voie du progrès, et qui, incitée par la concurrence, a introduit en effet chez elle, non seulement dans ses méthodes, mais dans l’architecture même et la disposition intérieure de ses établissemens, les perfectionnemens les plus heureux ; à l’intérêt de ses professeurs, qu’elle a affranchis de l’autorité, on pourrait même dire du despotisme d’une doctrine officielle, et dont elle a assuré la propre indépendance intellectuelle ; enfin, à l’intérêt des familles, où elle a maintenu la paix domestique, et aussi le respect que le père et la mère ont toujours le droit d’exiger pour leurs convictions et leurs croyances les plus intimes : et, si la liberté de l’enseignement est conforme à la fois aux intérêts de l’individu, de l’Université et des familles, sans doute on peut dire qu’elle l’est aussi à ceux de l’État, car qu’est-ce donc que l’État, si ce n’est nous tous, si ce n’est tout le monde, et de quel droit en ferait-on une sorte d’entité métaphysique qui aurait sur nous et nos enfans, au point de vue de la direction de nos esprits et de nos consciences, une autorité qu’il faudrait qualifier de droit divin, si ce mot pouvait s’appliquer à quoi que ce soit aujourd’hui ? Il s’agirait, en tout cas, d’un droit qui serait antérieur et supérieur à nos volontés. Nous ne le reconnaissons pas à l’État.

M. Brunetière ne lui conteste pas celui d’enseigner. Il pourrait le faire en théorie, car, si le droit d’enseigner était inhérent à l’État, l’État l’exercerait partout, et nous connaissons des pays où il ne songe même pas à le faire. Mais, en France, il y a un grand fait historique d’où est sortie l’Université telle qu’elle existe aujourd’hui, avec les modifications que le temps y a introduites. Ce fait est très respectable. L’Université, chez nous, correspond à un besoin. Si certaines familles veulent faire élever leurs enfans d’une certaine manière, d’autres veulent pour les leurs une instruction qui s’inspire d’un autre esprit. Le droit des secondes est aussi sacré que celui des autres ; et il faut bien reconnaître que, dans la constitution actuelle de notre société, dénués comme nous le sommes depuis si longtemps de toute loi libérale sur les associations et ayant dès lors perdu toute habitude de nous associer, menacés d’ailleurs de ne pas voir une telle loi votée et appliquée de sitôt, l’intervention de l’État est indispensable pour donner un