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et d’échanges, que celle du premier occupant ? Or, premier occupant, il s’en fallut de peu, on le sait, que nous ne l’ayons été dès 1897, c’est-à-dire huit grands mois avant que le sirdar Kitchener eût quitté ses quartiers d’hiver pour s’emparer de Khartoum. Premier occupant, nous l’avons été en réalité, car lorsque le pavillon britannique s’est présenté à Fachoda, le drapeau tricolore y flottait déjà depuis quelques semaines.

Arguties juridiques, querelles de procureur, que tout cela, dira-t-on : si elles sont bonnes pour la discussion d’intérêts médiocres, elles sont indignes de deux grands pays lorsque les passions nationales les plus ardentes risquent d’être allumées. D’accord, quoique dans les œuvres humaines il soit toujours prudent de réserver une part à la chance, et une autre au droit. Mais, si l’opportunité, si les considérations supérieures commandaient à la France de saisir l’Angleterre du débat avant que Français et Anglais fussent exposés à se heurter sur le cours du Nil, — on sait d’ailleurs de quelle façon courtoise, — à quel moment précis convenait-il de le faire ? Pour en juger, une vue plus générale des choses est nécessaire.

La question du Nil ou de l’Egypte n’était ni la seule ni la plus aiguë des questions pendantes entre l’Angleterre et la France ; la mission Marchand n’était point un fait isolé dans les rapports coloniaux des deux puissances rivales, mais un unique anneau d’une longue chaîne de conflits. De ces conflits il avait été dressé un inventaire par les ministres compétens, lors de la formation du cabinet Méline, et la liste avait été faite, par ordre d’urgence, de ceux qu’il importait de résoudre : Madagascar, où les consuls, les missionnaires et les négocians britanniques s’accommodaient mal d’être relégués à l’arrière-plan par le fait de notre prise de possession ; la Tunisie, où, après quinze années d’occupation, l’on n’avait pas encore réussi à affranchir notre commerce de certaines conventions perpétuelles qui liaient la Régence à la Grande-Bretagne, à l’Italie, et à d’autres ; la boucle du Niger, où, depuis l’évacuation d’Arenberg, les missions anglaises sillonnaient la région pour couper nos colonies côtières de leur hinterland et empêcher leur jonction avec le Soudan français ; l’Egypte, enfin, dont on ne pouvait utilement parler qu’après avoir provoqué quelque groupement européen. Et, après avoir dressé l’inventaire, les ministres se mirent à l’œuvre : résolue dès 1896, la question de Madagascar ; résolu en 1897, l’affranchissement commercial de la Tunisie ;