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témoignait le désir de l’envoyer étudier à Paris. Non seulement Victor-Amédée lui en refusait la permission, mais, l’enfant ayant un jour parlé français devant lui, Victor-Amédée lui dit : « Si je vous entends plus parler cette langue, je vous feray fouetter jusqu’au sang et je ne prendray aucun soin de vous ; je veux que vous ne parliez que piémontois. »

Malgré ces preuves peu équivoques des mauvaises dispositions de Victor-Amédée, les nécessités de sa politique n’en amenaient pas moins Louis XIV à modifier les instructions qu’il avait données à Briord lors de son départ pour Turin. Ces instructions portaient, nous venons de le voir, que l’ambassadeur devait éluder toute question qui pourrait lui être faite au sujet du Milanais et toute proposition de Victor-Amédée d’en revenir à cet article 14 du traité d’action par lequel Louis XIV avait promis de l’aider à conquérir cette province, sauf à se faire rétrocéder par lui la Savoie. « Il me paraît présentement, écrivait Louis XIV à Briord, qu’un pareil traité serait le moyen le plus assuré d’empêcher l’Empereur de se rendre maître de toute l’Italie et d’engager le duc de Savoie à s’y opposer par la considération de son intérêt particulier… Il est de mon service de suivre cette proposition. » Mais, comme les circonstances étaient différentes, le duc de Savoie ne devait pas s’attendre à ce que l’appui de la France pour la conquête du Milanais lui fût prêté à des conditions aussi favorables qu’il l’aurait été lorsqu’il s’agissait de détacher Victor-Amédée de l’alliance autrichienne, et, en échange de cet appui, Briord devait réclamer pour la France, non plus seulement la Savoie, mais la ville et le comté de Nice[1].

Ce plan d’agrandir la France du côté des Alpes, et de lui faire atteindre ses frontières naturelles, en favorisant les ambitions du Piémont dans la haute Italie, Louis XIV l’avait trouvé dans l’héritage d’Henri IV. Il faisait habilement de le reprendre. Mais il ne lui fut pas donné de le réaliser, et c’est à un souverain issu d’une autre dynastie que devait échoir, un siècle et demi plus tard, cette heureuse fortune. Tant il est vrai que les intérêts permanens d’un pays imposent à travers les siècles à ceux qui le représentent, à des titres divers, une même politique ; et tant la conquête ou la revendication de ses frontières naturelles est pour la France un objet de légitime ambition dont elle ne s’est jamais écartée et ne

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 99. Le Roi à Briord, 3 avril 1698.