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cette visite, beaucoup de pleurs répandus. Le 4, à dix heures et demie, après avoir entendu la messe, le Roi, Monseigneur, le roi d’Espagne, le duc et la duchesse de Bourgogne, Monsieur le duc de Berry, Monsieur et Madame s’entassèrent tous les huit dans un de ces spacieux et lourds carrosses dont on peut voir le modèle dans les tableaux de Van der Meulen, et qui servaient aux voyages princiers. La duchesse de Bourgogne était sur la banquette du fond entre les deux rois ; le duc de Bourgogne sur la banquette de devant. Le carrosse s’ébranla et prit la route conduisant au château de Sceaux, récemment acheté par le duc du Maine, où devaient avoir lieu les adieux. Une foule considérable avait accompagné ou précédé la famille royale. Les carrosses étaient sur quatre files. Aux abords du château, les murailles des jardins, les toits des maisons et même les arbres « étaient pleins de toute sorte de gens que la curiosité d’un spectacle qui ne s’était jamais vu en France y avait attirés[1]. » Les appartemens mêmes du château avaient été envahis, « le Roi ayant, rapporte le Mercure, ordonné avec bonté que chacun pût voir une chose qui n’avoit jamais été, et que les portes ne fussent fermées qu’au plus bas peuple[2]. » La duchesse de Bourgogne elle-même fut un instant séparée par la foule du cortège royal, car, dans cette cour qu’à distance nous nous figurons toujours si rigide et si bien ordonnée, il y avait des momens où, comme à la naissance du duc de Bourgogne, comme à l’arrivée de la duchesse de Bourgogne à Fontainebleau, la joie publique faisait oublier l’étiquette et confondait les rangs. Le Roi, qui avait déjà le visage baigné de larmes, conduisit d’abord son petit-fils dans la dernière pièce de l’appartement du rez-de-chaussée, qui était précédée d’un grand salon. Il y pénétra seul avec lui, les princes, les princesses et les courtisans demeurant dans la première pièce, où ils observaient un profond silence, « chose rare entre Français, » ajoute Breteuil dans sa relation. Ils demeurèrent en tête à tête un long quart d’heure, le roi de France donnant au roi d’Espagne ses derniers conseils, le grand-père faisant au petit-fils ses derniers adieux. Puis Louis XIV ouvrit la porte à deux battans et appela successivement d’abord Monseigneur, puis le duc et la duchesse de Bourgogne, le duc de Berry et les autres princes et princesses du sang. On n’entendait pas ce qu’ils se disaient, mais on voyait les deux rois

  1. Dangeau, t. XVIII, Appendice, p. 364. Diverses particularités, etc.
  2. Mercure de France, décembre 1700.