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retrouva son endurance et l’idée divine de la patrie rajeunit et purifia son vieux culte de la mort. Le parti militaire en sortit plus robuste et, comme, si les rivalités de clans y percent encore, il est le seul vraiment organisé, le seul aussi qui symbolise pour la foule l’égalité civique, il devint une grande espérance.

Eveil de la dignité individuelle dans la gloire commune. Les Japonais connurent les délices de la solidarité nationale. Les champs de bataille chinois débarrassèrent un instant la révolution de sa fausse idéologie et la rendirent sensible au cœur. On a raillé la vanité des Japonais victorieux ; on s’est plaint de leur arrogance ; on a constaté que les plus humbles, artisans, boutiquiers, domestiques, kurumayas, avaient conçu d’eux-mêmes une opinion intraitable. Le plébéien enrégimenté participa à l’accroissement du Japon. Ce fut comme si, revenant en arrière, on l’eût élevé au rang de samuraï. Il a senti naître en lui un homme. Sa vie lui est devenue plus précieuse, ses droits plus manifestes.


Ainsi, autant que j’en puis juger, la restauration impériale aboutirait d’une part à l’idée consciente de la patrie moderne : loin de s’en trouver fortifiée, la fidélité à l’empereur peu à peu se dissoudrait dans un patriotisme plus large, mais qui, pour la sécurité du pays, gagnerait à s’y condenser. D’autre part, en découvrant aux théories européennes les tendances anarchiques, que nous avons notées tout au long de l’histoire japonaise, et qui serpentaient sous la solide armature du gouvernement shogunal, elle crée lentement dans la foule un esprit révolutionnaire. Cette foule, dont l’action continue d’être une série de réactions, — où tant de résignés gardent encore pieusement et sans profit l’antique politesse et le don silencieux du sacrifice, — fait avec une docilité souvent étrange l’apprentissage pénible de sa volonté. Elle se débat contre l’atavisme d’une sujétion qui, à force d’inconscience, était devenue presque instinctive. Les gouvernans ont la main plus dure dans leur libéralisme que jadis dans leur tyrannie. Ils lui arrachent par lambeaux des liens qui ne la blessaient pas, tant sa vie les avait incarnés. Sa délivrance la meurtrit, et déjà elle s’en prend de ces meurtrissures à ceux qu’on lui laisse, alors que sa souffrance lui vient de ceux qu’on lui ôte.

Son âme présente à coup sûr des symptômes inquiétans, si inquiétans même que les hommes de gouvernement chercheront bientôt une panacée dans la médecine européenne. Et nous verrons