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cruauté salutaire. Ce cadre de la Comédie-Française a causé la chute de beaucoup de méchantes pièces ; d’autres, qui avaient préféré ne pas l’affronter, s’en sont allées triompher sur des scènes moins redoutables. Grâce à la réunion d’élémens complexes et subtils, quelque chose existait là, qu’on ne trouvait pas ailleurs, et qui, au milieu de la débandade d’aujourd’hui, maintenait un idéal d’art. C’est ce que nous venons de perdre. C’est la lacune dont les conséquences se feront sentir dans notre art dramatique. Les huissiers de la nouvelle salle continueront de se parer de chaînes et les ouvreuses de s’orner de gravité, mais une salle aux planches toutes neuves, à la décoration toute fraîche, sera sans âme. Avec cette salle qui avait un passé disparaît la tradition qui y était attachée. C’est en ce sens que l’incendie du Théâtre-Français est un désastre littéraire.

La dernière pièce qui aura été jouée dans cette salle aura été Diane de Lys que la Comédie-Française venait de reprendre et qu’elle avait montée avec beaucoup de soin. Cette reprise obtenait un vif succès auprès d’un public qui était déjà un public d’Exposition. Diane de Lys se jouait devant des salles combles, et ce qui est plus surprenant, mais que nous avons eu l’occasion de constater, devant des salles intéressées et amusées. Ce public s’attachait d’abord à la curieuse reconstitution des costumes du milieu de ce siècle ; il s’amusait à la complication de l’intrigue, soulignait d’applaudissemens quelques plaisanteries faciles, quelques tirades d’une banalité touchante et n’en demandait pas davantage. Il ne nous est guère possible de nous placer au même point de vue. Les seules pièces qui méritent l’honneur d’une reprise sont apparemment celles qui ont par elles-mêmes une valeur et des chances de durée. Aussi, entre toutes les pièces de Dumas, Diane de Lys était-elle spécialement celle qu’il ne fallait pas reprendre. En est-il dans son théâtre de plus mauvaises et de plus franchement détestables ? Cela est possible ; mais il n’en est aucune qui soit plus complètement dépourvue de signification, plus vide des qualités et des défauts propres à Dumas. Le seul moyen que nous ayons d’y trouver quelque sujet d’étude est d’y rechercher quel a été pour Dumas le point de départ et quelles pièces il était capable de faire avec la facilité superficielle de la jeunesse, à l’époque où il se contentait d’emprunter aux dramatistes de son temps la forme alors usitée, sans y ajouter ni une conception d’art, ni une considération morale, ni aucune idée qui lui fût personnelle.

Alexandre Dumas avait un peu moins de trente ans quand il fit représenter Diane de Lys. Il était, à cette date de 1N53, l’auteur de