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a trahi Diane et son amant ; c’est pourquoi, tandis que, sur les deux heures du matin, ils échangent des propos ardemment innocens, on entend bruire les grelots de la chaise de poste qui ramène le mari. Heureux temps pour les dramaturges, que celui où il y avait encore des chaises de poste ! Ces grelots secoués à la cantonade étaient incomparables pour les bruits de coulisses. Et les chevaux qu’on crevait en route, et le postillon qu’on couvrait d’or, et les surprises qui vous attendaient à chaque relais ! autant d’effets auxquels il a fallu renoncer. Dans cette chaise de poste qui ne dételle pas, le comte va enlever la comtesse, tout de suite, sans lui laisser même le temps de changer de costume. Qu’elle n’essaie pas de s’échapper ! les issues sont formées. Qu’elle n’essaie pas de résister ! elle n’est pas la plus forte. Et voilà une fin d’acte. Elle ne vaut certes pas la scène où le duc de Guise, meurtrissant le poignet de la duchesse, la force à écrire la lettre qui attirera son amant dans un piège ; mais la facture est la même et on reconnaît le procédé. — Paul Aubry s’est jeté à la poursuite de la comtesse ; il l’a rejointe à Lyon, dans l’hôtel où elle est descendue. C’est lui qui maintenant va l’enlever, lorsque surgit le mari, qui, n’étant pas en humeur de plaisanter, reprend son bien et sort. Un moment interdit, Paul Aubry resté seul se redresse et croise les bras : « C’est bien, monsieur le comte, à nous deux maintenant ! » Voilà une phrase de défi du meilleur effet. Elle ne vaut pas celle de Buridan : « Bien, joué, Marguerite ! A toi la première partie ! A moi la revanche ! » mais c’est que celle-ci est le chef-d’œuvre. — Au dernier acte, la comtesse étant retombée dans les bras de son peintre, le mari s’annonce derrière la porte, encore une fois ! Une porte qui vole en éclats ! Un coup de feu : « le Comte : Cet homme était l’amant de ma femme. Je me suis fait justice. Je l’ai tué !… » Belle exclamation ! qui ne vaut certes pas celle d’Antony : « Elle me résistait, je l’ai assassinée ! » mais très convenable encore et sur laquelle le rideau peut baisser. Hasards, surprises, rencontres, répliques à effets, mots pour fins d’actes, situation interrompue au bon moment et qui nous laisse en suspens jusqu’au prochain feuilleton, rien n’y manque.

Dans ce cadre de mélodrame, nous assistons à une histoire d’amour, où Dumas a placé docilement les types consacrés, et les nuances de sensibilité conformes à la convention. Le mari est odieux. Il est élégant et spirituel, car il est gentilhomme et tout gentilhomme est spirituel, d’un esprit qui perce dans chaque mot, et élégant d’une élégance qui se voit de loin. D’ailleurs, il est libertin et méchant. Il s’est marié par intérêt. Il néglige sa femme, il l’ignore, jusqu’au jour où