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l’abus ait été systématique et que des méprises n’aient pas causé la plupart de ces incidens. De semblables imputations se reproduisent dans toutes les guerres. C’est ainsi qu’en 1871 les Prussiens accusèrent les Français, les Français accusèrent les Prussiens d’avoir fait feu sur des officiers envoyés en parlementaires[1]. Nous avons beaucoup de peine à croire aujourd’hui qu’on ait, soit d’un côté, soit de l’autre, porté des atteintes volontaires à l’inviolabilité des parlementaires. Une balle égarée par un soldat ignorant ou même par un soldat qu’affole un accès de fièvre chaude (c’est dans de telles conditions qu’un colonel anglais a tué sur les bords de la Tugela un parlementaire républicain) n’entraîne pas la responsabilité du belligérant. « S’il n’y a pas eu mauvaise foi, dit très sagement Bluntschli, si le tout n’est qu’un déplorable accident, il n’y a pas eu de crime international. »

La deuxième convention de la Haye prohibe également l’usage abusif des signes distinctifs de la convention de Genève. Frédéric II se plaisait à dire qu’on prend alternativement à la guerre la peau du renard et la peau du lion ; mais ce conseil n’est pas toujours bon à suivre. Est-ce qu’on peut respecter l’inviolabilité du corps médical, s’il ne s’abstient pas de toute ingérence dans les opérations des belligérans ? est-ce qu’on peut maintenir la neutralité d’un hôpital qu’on transforme en observatoire ou qu’on affecte secrètement au service de la guerre ? est-ce que les voitures employées déloyalement au transport des munitions, des approvisionnemens, etc., vont être soustraites aux chances de la guerre, parce qu’elles seront couvertes du drapeau blanc à croix rouge ? Ce serait absurde.

La protestation officielle du général Joubert adressée, le 18 octobre, aux consuls des différentes puissances résidant à Pretoria met sur le premier plan deux griefs on ne peut plus sérieux : « 1° lors de l’attaque faite contre le général Koch et ses troupes à Elandslaagte, les soldats de la nation civilisée anglaise ont dirigé leur premier coup de canon sur l’ambulance de la Croix rouge, qui était nettement visible ; 2° ils ont essayé d’assassiner un des docteurs portant visiblement une croix rouge et, cherchant à lui planter une lance dans le corps, ont tué son cheval. » Cet exemple avait été donné par les Turcs, dans la guerre de 1877. Si

  1. Voyez le texte des protestations adressées aux puissances par le comte de Thile le 15 et le 25 août 1870 ; v. aussi les document publiés au Journal officiel du 14 janvier 1871.