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Or, s’il était un milieu propice à l’éclosion de la légende qui allait transformer le roi de France en un franciscain pratiquant et militant, c’était bien la cour de Robert, où les frères mineurs faisaient la loi. Le type du saint Louis dévot et monacal, tel que devaient le perpétuer les écrivains franciscains, se serait-il formé par une sorte de fusion entre le premier et le second saint Louis, entre le roi et le moine ? Ou plutôt se sera-t-on imaginé le roi de France d’après le roi de Sicile qui l’avait pris pour maître et pour guide ? Je serais tenté de le croire, quand je pense au roi saint Louis qu’un peintre médiocre a figuré près du sarcophage de Robert ; le costume et le type rappellent de si près le roi défunt, que, sans l’inscription : Sanctus Ludovicus rex, on pourrait y être trompé. Le saint Louis de Giotto, antérieur de dix ans pour le moins à la fresque de Santa-Chiara, est beaucoup plus authentique et certainement inspiré de documens précis : la figure large et rasée, les cheveux longs sur les côtés, coupés droit sur le front, le manteau même, avec son collet de fourrure, font penser aussitôt aux portraits de saint Louis en grand costume, exécutés à Saint-Denis ou à Poissy par des peintres verriers contemporains du roi, et dont on peut retrouver les lignes à travers des gravures anciennes. Le cordon seul n’appartient pas au vrai saint Louis. Mais nous savons maintenant d’où le peintre a pu tirer, avec l’image fidèle du saint roi, l’idée d’ajouter à sa fresque cet accessoire qui contredit ce que l’on peut savoir sur l’ami de Joinville. On n’objectera pas que les images du roi saint Louis groupées à Naples ne portent pas le cordon de saint François ; c’est qu’en effet, dans la capitale des Angevins, le saint est toujours peint ou sculpté en costume royal, avec le globe dans une main et le sceptre dans l’autre. Giotto a remplacé le globe du pouvoir souverain par la corde de la servitude parfaite. Pourquoi le maître a-t-il voulu, le premier peut-être, fixer dans une image une tradition dont l’écho venait de parvenir jusqu’à Florence ? Nous n’avons pas à le deviner. Mais le détail qu’il a introduit dans son œuvre est pour l’histoire un document précis. La fresque de Florence, où saint Louis est représenté comme tertiaire plus d’un siècle avant qu’une représentation semblable ne se fasse jour en France, doit suffire à prouver que la tradition apocryphe a pris naissance à Naples. Les franciscains d’Italie ont accaparé la mémoire du roi de France, en même temps que la personne du roi de Sicile.