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épouvantés du mouvement anarchiste ; une majorité de résistance finit par se former. Comme l’assemblée du Manège, transférée rue du Bac, continuait à déblatérer contre tout le monde et à éructer des motions incendiaires, il parut indispensable de couper court définitivement à ce désordre. Siéyès y tenait d’autant plus que « les frères et amis, » au milieu de leurs extravagances, montraient quelque perspicacité ; ils devinaient, sinon l’entreprise à main armée dont Joubert avait assumé l’exécution, au moins la trame orléaniste qui était derrière. Pour leurs journaux, Siéyès est « la main invisible qui depuis six ans conduit la république vers la royauté, » vers une contrefaçon de royauté, aussi odieuse que la monarchie légitime aux révolutionnaires de la bonne espèce. Le 10 thermidor, un membre du club, pour se conformer à une tradition des grands aînés, dénonce « l’exécrable faction d’Orléans, » et ici le compte rendu porte : « Un mouvement d’indignation se manifeste, tous les membres agitent leurs chapeaux en criant : « Guerre à mort à la faction d’Orléans ! »

Les Conseils s’occupaient par momens d’une loi destinée à réglementer les sociétés politiques. Ce serait un moyen de refréner les clubistes, de les renfermer dans un cercle de prohibitions étroites, mais le résultat d’une discussion parlementaire demeure toujours problématique et, en tout cas, se fait longuement attendre. Les Conseils n’aboutissaient pas ; en vain, par message, le Directoire les avait incités à se hâter : « Les messages restaient ensevelis dans les bureaux des commissions. » Devant l’urgence du péril, les directeurs se résolurent à fermer la réunion par mesure gouvernementale.

Pour frapper ce coup, il fallait un ministre de la Police propre aux besognes de vigueur. De l’avis général, Bourguignon était au-dessous de la tâche. On ne lui trouvait que de l’honnêteté, quand sa fonction réclamait tout autre chose. Un nom fut prononcé, celui d’un personnage qui avait derrière lui un passé sinistre, mais que l’on savait homme d’exécution, et auquel on connaissait d’ailleurs de bonnes raisons pour ne pas vouloir que la faction du Manège envahît le gouvernement : l’ancien oratorien Fouché de Nantes, Fouché de Lyon plutôt, l’ex-mitrailleur de la seconde ville de France, logé actuellement dans l’ambassade de la Haye. Des amis rôdaient pour son compte autour du pouvoir et tâchaient de l’y introduire, vantant ses aptitudes policières. Barras le proposa ; Siéyès, qui avait un autre candidat, admit pourtant