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Milan tombait sur une tête princière, cette tête ne devrait pas être autre que celle de Victor-Amédée lui-même, et si, au contraire, le Milanais devenait possession impériale, il faudrait tout au moins que Victor-Amédée en fût gouverneur à perpétuité.

Malgré ces assurances et l’espoir qu’il affectait de demeurer en bons termes avec l’Empereur, Victor-Amédée ne pouvait se dissimuler qu’il se verrait bientôt dans la nécessité de rappeler son ambassadeur. Aussi recommandait-il à celui-ci de se concerter dans le plus grand secret avec le comte d’Harrach sur les moyens d’entretenir un’ occulta e impenetrabile corrispondenza, de façon que rien ne puisse svaporare. Quant au prince Eugène, il ne devait, au contraire, chercher à entretenir avec Victor-Amédée aucun commerce occulte, ne lui faire aucune proposition et n’user d’aucun manège, car, ajoutait Victor-Amédée. « Nous ne pourrions moins faire que de montrer ses lettres, ne voulant pas nous servir d’un autre canal que le vôtre. » « De tels sentimens, dit Carutti dans une phrase un peu énigmatique de son histoire de la diplomatie savoyarde, furent les pronubi (auspices) d’un traité qui n’était pas ratifié par la conscience[1]. »


IV

Parallèlement à cette négociation où il n’était question que de soldats, d’argent ou d’agrandissement de territoire, une autre se poursuivait, plus délicate, qui avait trait au mariage de la princesse de Piémont avec le nouveau roi d’Espagne. Engagée, comme nous l’avons vu, par Torcy, elle avait été reprise et continuée à Turin, par l’entremise de Phelypeaux, mais surtout à Versailles par celle de Vernon. Ce « long Vernon », comme l’appelait Tessé, était un zélé serviteur, souple et discret. Il servait en même temps d’intermédiaire au duc de Savoie dans ses relations avec sa maîtresse, et à la duchesse, dans ses relations avec sa fille.

La comtesse de Verrue que nous avons vue tout récemment[2] trahissant son pays d’adoption pour son pays d’origine, s’était, au mois d’octobre, enfuie de Turin. Après avoir passé la frontière en grande hâte et en cachette, elle avait cherché un refuge au château de Dampierre, chez son frère, le duc de Chevreuse. Elle n’avait pu y rester longtemps, son austère famille lui ayant fait

  1. Carutti, Storia della diplomazia della corte di Savoia, t. III, p. 308.
  2. Voyez la Revue du 15 mars.