Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/842

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais qui prit sa part dans toutes les luttes initiales de la jeune école berlinoise. Son livre est une mine inépuisable de renseignemens sur les circonstances intimes de la vie du dramaturge. Nous y faisons la connaissance des ascendans de Hauptmann, de ses frères, de sa femme, de ses jeunes enfans. Nous y trouvons le portrait du maître à l’âge de cinq ans, et la photographie de sa villa silésienne. Nous devenons spectateurs des hésitations prolongées de sa vocation, qui le firent successivement agronome, étudiant universitaire, sculpteur, à Rome, peut-être même acteur en espérance. Nous assistons à son mariage précoce avec une jeune fille richement dotée, union qui lui permit d’attendre en toute sécurité l’heure du succès, et aussi de se faire, par ses libéralités, des amis précieux dans les sphères littéraires de la capitale prussienne.

La partie critique de cette apologie met surtout en relief, pour chacun des drames de Hauptmann, le réalisme habile, et parfois puissant, qui leur donne la vie. Ce réalisme, les Parisiens qui ont assisté aux représentations des Tisserands en ont certainement gardé la mémoire. La pièce, on s’en souvient aussi, ne contient ni intrigue, ni analyse de caractère, ni héros ou personnage principal. Elle est formée par la juxtaposition de cinq tableaux successifs, images de misère et de violence, dont l’intensité d’émotion et l’action sur les nerfs du spectateur sont indiscutables. Considérons encore l’Assomption d’Hannele, la plus célèbre des œuvres de l’auteur, après les Tisserands. L’idée de reproduire sur la scène le rêve d’un des personnages de la pièce n’a rien d’original en soi : le public a plus d’une fois assisté à de semblables tentatives, et le procédé en est presque tombé dans le domaine de la féerie. Ce qui fait le mérite et la nouveauté apparente de ce « drame de rêve, » à part la peinture si crue de l’asile de mendicité où se déroule l’action, c’est que le songe d’une enfant mourante est traduit avec toutes ses probabilités psychologiques et presque physiologiques ; c’est que le monde bizarre où la transporte le délire est reproduit dans le coloris exact qu’il doit revêtir pour l’imagination enfiévrée d’une élève de l’école primaire, dont la mémoire est meublée de cantiques et de contes populaires. Ce réalisme proprement local et la couleur silésienne du cadre, comme des légendes mises en scène, rendent même la pièce assez difficile à goûter pour un spectateur français. Il serait aisé de mettre ailleurs en relief ce trait dominant