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l’imagination d’un lecteur bien préparé à les comprendre, se groupent en brûlantes représentations de la vie. Rien que des images, nulle pensée. Cette effrayante virtuosité dans la copie du réel, servi en minces tranches, et impitoyablement banal autant que tragique, éprouve à la longue les nerfs du lecteur. »

Telle est bien l’impression que laissa aux gens du métier ce premier exemple de la technique nouvelle : c’est le réalisme poussé presque jusqu’au ridicule, et, en tous cas, jusqu’à la fatigue.

Disons quelques mots de la principale et de la plus caractéristique de ces nouvelles, qui inaugurèrent, en Allemagne, le naturalisme conséquent. Papa Hamlet est une sorte d’incarnation Scandinave du Delobelle de Daudet. Ce surnom familier s’applique en effet à Niels Thienwiebel, comédien sans emploi, plongé dans la plus profonde misère, avec sa femme et un bébé de quelques mois, parce qu’il refuse opiniâtrement les emplois modestes, qu’il juge indignes de son génie. Le rôle d’Hamlet, qui fut un de ses succès, a laissé une impression ineffaçable dans ce cerveau détraqué.

Les phrases les plus étranges et les plus incohérentes du prince de Danemark reviennent sans cesse, comme des leit-motiv, dans la conversation du piteux tragédien. Contraste vraiment tragique entre le romantisme grandiose de la langue de Shakspeare et la trivialité mesquine des scènes qui se déroulent sous les yeux du lecteur, dans la mansarde où grouillent ces lamentables bohèmes : Thienwiebel, aussi égoïste et brutal que prétentieux et fainéant ; Amélie, l’Ophélie de ce triste Hamlet, pauvre créature, minée par la phtisie, hébétée par les privations continuelles et l’abandon de toute espérance ; enfin, le bébé souffreteux et criard que son père a affublé du nom de Fortinbras. Quelques comparses occupent le fond du tableau. Le récit est décousu, fantasque, formé surtout de conversations qui semblent notées par un phonographe, sans oublier les défauts de prononciation, jusqu’aux tics du gosier des interlocuteurs. Et l’on croirait presque ces scènes écrites pour le théâtre, tant la forme du dialogue y est fréquemment employée. La peinture du mobilier en ruine et des rares ustensiles qui traînent dans le taudis des Thienwiebel est aussi d’une minutieuse précision ; et, de tous ces élémens réalistes combinés entre eux, les auteurs tirent parfois des effets d’une certaine puissance. La rentrée de Papa Hamlet ivre dans