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la fille aînée, Toni, qui par son travail de couturière fait vivre les siens. Elle met un rayon de grâce et de poésie dans cette sombre esquisse. En effet, un jeune étudiant en théologie, Gustave Wendt, est pensionnaire chez les Selicke : chambre-garnist, comme on dit à Berlin. A la veille d’obtenir un poste de pasteur de village, il rêve d’emmener comme compagne cette Toni qu’il adore, et dont il assurerait le bonheur. La jeune fille n’ose l’écouter : elle sent trop bien que son cœur l’entraînerait sur les pas du nouveau pasteur, tandis que son devoir la retient auprès des siens. N’est-elle pas leur dernier appui matériel et moral ? Pourtant, elle paraît céder un instant devant le tableau d’avenir heureux, que son amoureux lui trace avec une flamme communicative. La mort d’une petite sœur malade, — que les auteurs ont présentée d’une façon fort dramatique, — la ramène à ses premiers sentimens, et, le deuil dans l’âme, elle refuse la main de Wendt, qui s’éloigne en disant : « Je reviendrai. »

L’acte qui met en scène la rentrée tardive du père, ivre d’une ivresse triste et lourde, auprès du berceau où gît l’enfant agonisante, dont il trouble les derniers instans, nous donne la note favorite des auteurs. Note cruelle, poignante, presque rebutante par son amertume, mais qui n’est pas demeurée sans écho, puisqu’on a voulu voir dans la scène, dont nous venons de parler, le prototype de l’Assomption d’Hannele. Qu’est-ce donc que Fontane appelle nouveau dans une pareille œuvre ? Ce n’est certes pas le fond, ni le développement des caractères. Selicke est l’homme faible, sans méchanceté, qui fait pourtant autour de lui des malheureux, parce qu’il ne sait pas se redresser sous les coups de la fortune adverse. On reconnaît encore quelque analogie entre ce libraire berlinois et certains personnages de Daudet ? Mme Selicke est une bourgeoise vulgaire, énervée par la souffrance, et incapable de suffire à ses lourds devoirs de mère de famille. Ses fils sont à peine esquissés. L’enfant malade n’a aucune originalité. Enfin le couple amoureux est si touchant et si noble qu’il frise de près la convention et pourrait passer pour une infidélité au réalisme conséquent. Resterait donc la nouveauté dans les procédés de style et dans la technique du drame. Nous ne voulons pas la discuter une fois encore, mais quel spectacle singulier que celui d’un véritable poète, qui a fait ses preuves, et s’attache néanmoins désespérément, en un tournant de sa carrière, à ces questions de procédé, si indignes de tenir une place prépondérante