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nombre et la qualité de ses élèves et copistes, il n’y détermina pas ce long courant de production facile et abondante qui suivit, à Harlem, puis dans tous les Pays-Bas, les affirmations bien plus grosses de Hals. Celui-ci, en remettant, purement et simplement, les peintres devant la réalité quotidienne et familière, correspondait aux sentimens les plus intimes de la race ; lorsqu’il donnait avec tant d’éclat, à la simple représentation des choses qu’on voit sans peine autour de soi, le droit de cité dans le grand domaine de l’art, jusque-là gardé par les mystiques ou les mythologues, il achevait l’entreprise, souvent interrompue, de Jérôme Bosch, Van Mandyn, Lucas de Leyde, Brueghel, et ouvrait décidément la place à la peinture de genre, à la peinture de paysage, à la peinture de marine, d’architecture, d’animaux, de fleurs, de toutes les manifestations quelconques de la nature et de la vie.

Désormais, durant tout le XVIIe siècle, c’est sous l’influence, exclusive ou combinée, de Hals et de Rembrandt que vont se mouvoir toutes les petites écoles, de plus en plus rapprochées et enchevêtrées, des Pays-Bas. Les italianisans les plus convaincus, les académiques, ceux qui continuent à jouir de la faveur des classes riches et des milieux mondains, n’échappent guère à leur action ; sinon ils s’effacent en une médiocrité navrante. De Rembrandt, toutefois, on n’imite guère que sa technique apparente, ses dispositions lumineuses, ses mouvemens d’ombre, la gravité souple de ses colorations fauves. Pour le reste, pour l’animation de la composition équilibrée, classique au fond, mais renouvelée par la plus forte et délicate puissance d’observation imitative que l’art ait jamais connue, pour la fusion, d’autant plus émouvante qu’elle est plus spontanée et quasi inconsciente, de ce génie hollandais, tout de vérité et d’humanité, et du génie italien, tout en clarté, drame et beauté, Rembrandt, ce frère lointain de Léonard de Vinci autant que de Van Eyck, qui leur succède, les continue, les complète, Rembrandt reste seul et inaccessible dans sa complication souveraine. Tous ceux qui le veulent suivre dans sa Bible et son Évangile, où les déguenillés rayonnent, où les gueux se divinisent, sont affolés et perdus, tombent dans la platitude et le grotesque. Les simples naturalistes, au contraire, ceux qui marchent, tranquillement, les yeux bien ouverts, devant eux, comme Frans Hals, ceux qui se contentent de demander à Rembrandt d’utiles conseils pour aimer la réalité avec plus de chaleur et de délicatesse et pour l’analyser avec plus de finesse et de profondeur,