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si varié qu’aucun musée d’Europe ne le présente sous tous ses aspects. Le Louvre est un des plus heureux, puisqu’il peut, à la fois, montrer en lui le portraitiste ingénieux et pittoresque (Portraits d’enfans), le peintre de figures, d’animaux et de paysages, associant presque toujours ces élémens divers sur la même toile, et le peintre de marines. Dans le Départ pour la promenade, et dans la Promenade, avec quelle force et quelle chaleur déjà, son bon ami le soleil répand-il sa lumière tranquille et caressante, sur les velours éclatans des vêtemens, les pelages lustrés des chevaux, la verdure des feuillages, les fuites bleuâtres des horizons ! Quelle sensation douce et pénétrante de bien-être et de calme ! Et pourtant ce soleil ne semble-t-il pas un soleil presque banal, un soleil bourgeois à côté du grand astre tombant qui, dans le Paysage au crépuscule, enveloppe sur le tertre attiédi le troupeau des vaches tournées vers lui en une inconsciente extase, tandis que le pâtre accompagne, sur son chalumeau, en quelques notes sans doute mélancoliques et traînantes, l’adieu triomphal de la divine lumière ? Les amateurs anglais, depuis longtemps, admirent et vénèrent Albert Cuyp, presque à l’égal de Claude Lorrain, et ce sont, peut-être, en effet, les deux plus beaux poètes des crépuscules.

Il y a bien des airs de parenté entre Albert Cuyp et Pieter de Hooch, comme entre Pieter de Hooch et Van der Meer. Alors que leurs peintures, également franches et lumineuses, étaient également méprisées, on les confondait volontiers. On les distingue plus communément aujourd’hui. Si Cuyp est l’homme de la lumière éclatante, libre, répandue à l’extérieur, Pieter de Hooch (1630-1677) reste l’homme des lumières emprisonnées dans les intérieurs, qui s’assoupissent ou qui s’exaspèrent dans ces clôtures, suivant la place et la matière des objets auxquels elles se heurtent ou sur lesquels elles s’endorment. Personne, mieux que Hooch, n’a fait sentir, par ces vivacités ou ces repos des clairs et des ombres, la tiédeur douce des appartemens, le recueillement silencieux du home, le bonheur d’être chez soi, dans un demi-jour frais, tandis que l’été fait rage au dehors. Nos deux Intérieurs hollandais, celui où une ménagère, dans un coin ombreux, épluche des légumes à côté d’une fillette qui s’amuse, tandis qu’une bonne dame traverse, au fond, la courette ensoleillée, celui où, dans un salon bien clos, de jeunes dames élégantes et des cavaliers galans jouent aux cartes, minaudent, fleurètent,