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fugue instrumentale où le thème d’abord, et le rythme aussi, le choix des valeurs et celui des instrumens, les syncopes, l’action et la réaction réciproque de notes longuement tenues et d’autres piquées et légères, tout enfin répand une sombre et morne grandeur. Belle de sentiment et de style, cette page est l’une des meilleures» de l’ouvrage ; malheureusement, et par le fait même de sa nature, elle en fut l’une des moins entendues.

D’autres, qui sont excellentes (les premières), attestent ce parti pris de simplicité, de sévérité même, qu’il serait impossible à M. Massenet de soutenir toujours, mais qu’en cette œuvre du moins il a quelquefois gardé. L’oratorio commence en oratorio véritable. Moïse ici parle à son peuple un langage digne de son peuple, de lui-même et de leur Dieu. La mélodie, la tonalité, la déclamation, tout est sobre et volontairement « dépouillé d’artifice. » Belles sont les lignes, beaux aussi les mouvemens. La musique s’anime et d’éclaire, elle s’échauffe, s’enflamme et véritablement elle brûle, quand elle rappelle à la foule, que ce souvenir seul épouvante, le feu d’où sortit jadis la voix de l’Éternel. Mais ce qu’avait dit cette voix, M. Massenet a voulu le redire à sa façon, qui n’est peut-être pas celle de Jéhovah. Dans toute son œuvre il n’y a pas de passage plus original, ou plus étonnant. Le musicien a fait un choix parmi les commandemens ou les prohibitions de la Loi. Il n’en a guère retenu que ceux ou celles qui concernent la famille et la propriété. « Maudit, chantent les prêtres, maudit celui qui n’honore point son père et sa mère. Amen, répond le peuple. Maudit celui qui change les bornes de l’héritage de son prochain. Amen, Amen. » Il semble que M. Massenet se soit délié de lui-même. On dirait que, sachant sa faiblesse secrète et la réprouvant en un sujet sacré, le compositeur d’Esclarmonde et d’Hérodiade, le musicien de si nombreuses amours, s’est interdit de mettre en musique jusqu’à la défense d’aimer. Mais admirez les ruses et les revanches de son génie ou de son démon familier. Ecoutez sur ces textes terribles cette musique aimable, que dis-je, aimante, cette cantilène ou cette mélopée d’Orient, accompagnées par les harpes. Je crois même par les triangles, et qui flotte, se traîne, embaume et sourit. Cela fait songer à d’autres articles de la Loi, plus délicats, et que ne formulent pas les paroles, mais que malgré nous, malgré soi, la musique semble évoquer, pour les contredire. Non, non, cette musique ne défend point, elle conseillerait plutôt ; ce n’est pas celle du Décalogue mais celle du Cantique des Cantiques. Ainsi tout réussit à M. Massenet, et quand on ne saurait l’admirer on lui pardonne, Qu’il se contienne et se maîtrise ou qu’il