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plus obstinée que jamais de maintenir les passions en haleine car on ignore ce qui arrivera à la rentrée des Chambres, et il faut être prêt à tout. Qui sait si le ministère et le président, forts du règlement dont ce dernier va dorénavant se trouver armé, ne feront pas voter toutes les lois qu’ils voudront, en en étouffant le débat, en expulsant les orateurs, en tenant l’assemblée sous une sorte de terreur ? Ce n’est pas que le nouveau règlement soit bien farouche ; il ressemble en somme à celui qui, chez nous, ne paraît pas avoir porté jusqu’ici une atteinte appréciable à la liberté de la parole ; mais on est encore plus ardent et plus bruyant à Montecitorio qu’au Palais-Bourbon, et nous ne conseillerions pas au ministère italien de faire à la discussion de ses projets de loi répressifs la première application d’un règlement voté grâce à une espèce de coup d’État parlementaire. Ce serait remettre le feu aux poudres, et ni le règlement, ni les projets de loi n’en tireraient grand profit. L’opposition dirait bien haut que, si elle ne s’y est pas laissé tromper elle-même, on a voulu tromper le pays par le retrait simulé des projets de loi ; et cette attitude du gouvernement serait, en effet, peu propre à relever son prestige entamé.

En somme, le ministère a cédé. Lorsqu’on cède, il faut s’arranger pour avoir au moins le bénéfice de la concession qu’on a faite. Quant à l’opposition, si elle voulait nous en croire, elle aurait un moyen très simple de prouver qu’elle avait raison, et que les lois présentées par le gouvernement ne répondaient à aucune nécessité véritable : ce serait de s’employer elle-même à faire régner l’ordre dans le pays. Mais, pour cela, il faudrait le faire régner d’abord dans les esprits. Il est clair que, si, ce qu’à Dieu ne plaise ! quelque nouvelle émeute comme celle de Milan venait à ensanglanter les rues, le gouvernement deviendrait très fort pour présenter de nouveau et pour faire voter alors les lois qu’il a retirées. Mais, si le pays reste calme, comme il l’est d’ailleurs en ce moment, c’est l’opposition qui deviendra très forte pour démontrer que ces lois étaient inutiles et qu’elle a bien fait de les combattre, — par tous les moyens.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.