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Les études les plus récentes des économistes nous semblent aboutir, sur ce point, à un certain nombre de lois importantes que nous voudrions dégager[1]. Dans ces lois significatives et révélatrices de l’avenir, si nous savions y lire, nous verrions écrite ou la justification ou la condamnation du collectivisme matérialiste. Recherchons donc la nature et la vraie valeur du travail mental, son rôle par rapport au travail manuel, ses conditions d’exercice et de développement, enfin le but vers lequel il entraîne l’humanité. Le socialisme ouvrier, quand il ne voit que la « question ouvrière » et ne se préoccupe que du labeur des bras, nous apparaîtra peut-être comme un système incomplet, aussi injuste à sa manière que « l’économisme bourgeois. » La vraie question sociale n’a-t-elle pas pour objet le malaise social tout entier, aussi bien celui dont peuvent souffrir bourgeois ou capitalistes que celui dont souffre la « classe ouvrière, » aussi bien celui des travailleurs d’esprit que celui des travailleurs de corps ?


I

Le travail est l’application de la volonté à une fin qui, pour être atteinte, exige un certain effort, soit du cerveau, soit des muscles, soit des deux à la fois, et qui aboutit à une transformation et utilisation de mouvemens. Tout travail est à la fois, mais à doses inégales, nerveux et musculaire ; de plus, le travail nerveux enveloppe toujours un travail du cerveau en même temps que des nerfs proprement dits. Dans le travail manuel, la part des muscles est prédominante, à moins qu’il ne s’agisse d’opérations délicates exigeant surtout « l’adresse des mains, » par conséquent l’adresse cérébrale. Dans le travail mental, la part du cerveau est prédominante ; les muscles n’ont plus qu’à opérer un effort de fixation et de contention. En revanche, le système nerveux s’use avec rapidité, le cerveau se congestionne par l’afflux du sang. On connaît les expériences de M. Mosso. Il a trouvé moyen de peser la tête d’un même individu travaillant d’esprit, puis se reposant : le poids augmente dans le premier cas. La chaleur augmente aussi dans la tête, les pulsations sont plus rapides et grande est la dépense de matériaux nutritifs. Le maçon qui soulève des pierres et le penseur qui soulève des idées s’épuisent l’un et l’autre, avec

  1. Voir notamment le remarquable livre de M. André Liesse : le Travail aux points de vue scientifique, industriel et social : Paris, Guillaumin, 1899.