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vertu de la loi d’imitation merveilleusement décrite par M. Tarde. Loin de suivre le mouvement ascendant de la richesse, cette augmentation des besoins la précède : elle avive chez les parties moins aisées le sentiment de ce qui leur manque encore. Les socialistes allemands, dans un de leurs congrès, ont parfaitement reconnu que, si la classe ouvrière demande sans cesse davantage, ce n’est pas parce que sa condition est de plus en plus misérable (comme l’avait prétendu Marx), mais, au contraire, parce qu’elle l’est de moins en moins.

Le travail mental, qui peu à peu remplace le travail manuel, exige d’ailleurs, en raison même de sa nature, des précautions d’hygiène supérieures : « alimens plus légers, plus assimilables, » exercices alternant avec le travail cérébral, durée moins longue que le travail musculaire, l’épuisement étant plus rapide et plus profond. Aussi le travail mental est-il rémunéré, toutes choses égales d’ailleurs, à un prix plus élevé que le travail musculaire. De là cette augmentation des salaires qui s’observe dans les nations industrielles, à mesure même que l’industrie y croît plus vite et s’y montre plus scientifique.

Si les exigences de l’ouvrier grandissent, les patrons deviennent de plus en plus capables de les satisfaire. En effet, le travail mental tend, dans la somme totale du travail, à augmenter le travail utile par rapport au travail perdu. Cette « efficacité » se traduit par une diminution du temps nécessaire pour produire, à qualité égale, un nombre donné d’objets, par exemple, des tissus de coton, des montres, etc. Et l’efficacité provient de deux causes qui sont précisément sous la dépendance du travail mental. La première est l’habileté de l’ouvrier. Cette habileté varie évidemment avec son intelligence naturelle et avec son intelligence acquise ; en d’autres termes, elle est subordonnée à son travail intellectuel d’imitation, comme aussi à sa bonne volonté et à son attention, c’est-à-dire à son travail volontaire et moral. Mais, quelque important que soit ici le facteur individuel, il faut remarquer qu’il varie dans des limites très étroites ; si bien que, réduits à cette forme du travail, nous resterions dans un état de médiocrité générale. Ce qui joue le rôle capital dans l’économie du temps, c’est un second facteur, l’outillage. Or, ce facteur représente encore le travail intellectuel, mais surtout, comme nous rayons vu, le travail d’invention, qui capitalise les méthodes et assure le triomphe progressif de la science sur la nature. Les