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politique de 1848, je retirerai mes paroles. Mais il y a une moralité dans le souvenir qu’il faut invoquer. » Morny sentit que je ne tolérerais pas les remontrances et les inquisitions de M. de Cassagnac et que l’affaire allait devenir orageuse : « Je ne laisserai pas engager des discussions qui dégénéreraient en personnalités. J’ai trop de respect pour l’honneur de M. Ollivier et de ses amis pour croire qu’ils se considèrent comme les élus de la politique de 1848, car ils ont prêté serment à l’Empereur et à la Constitution. » Nous adhérâmes par notre silence à cette riposte (10 juillet 1860).


IV

La brèche que j’avais faite s’élargit pendant toute la discussion du budget. Dès le lendemain, Jules Favre y entra, en reprenant, d’une manière acrimonieuse et vague, la défense de la liberté de la presse. Il releva l’attaque de Granier de Cassagnac : « Où en serait le gouvernement actuel, si 1848 n’eût pas existé ? » Cassagnac était absent, Morny l’interrompit : « Ah ! vous avez bien raison ! — Si 1848 était illégitime, s’écria Jules Favre, il faudrait aller chercher les princes de la maison d’Orléans pour leur rendre tout ce qu’ils ont perdu. — Morny : Ne vous méprenez pas sur mes paroles, le gouvernement actuel est né de 1848 en ce que rien ne dispose plus à se livrer à celui qui apporte l’ordre et l’autorité que le spectacle des désordres révolutionnaires. — L’ordre et l’autorité, protesta Jules Favre, ne trouveront d’adversaires sur aucun des bancs de cette Chambre. — Je prends acte de votre déclaration, fit encore Morny, mais je vous engage à ne pas vous attaquer au principe du gouvernement. J’ai pris le parti de laisser toute liberté à la discussion, mais la Chambre s’impatienterait bientôt de voir la discussion de ses affaires dégénérer ainsi. »

Elle ne s’impatienta pas. Un des budgétaires les plus autorisés, candidat officiel, dévoué à l’Empereur, Larrabure, ami personnel d’Achille Fould, suivit notre exemple : « Les attributions constitutionnelles de la Chambre me paraissent trop limitées, même en matière d’impôt. La Chambre livre ses pouvoirs à une commission qui seule propose des amendemens. Le Conseil d’Etat a seul le droit d’admettre ou de repousser ces amendemens. Il est donc parfaitement vrai de dire que c’est surtout le Conseil d’État qui fait le budget de la France. Quant à la Chambre, elle