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de Napoléon III. Dans sa colère, elle en vint, après l’attentat d’Orsini, jusqu’à souscrire, quoique sa fortune fût bien médiocre, mille francs pour les enfans de l’assassin. La guerre d’Italie la pacifia ; elle renoua des relations avec Napoléon III par correspondance, puis Mme Walewska la conduisit un jour aux Tuileries. L’Empereur ne dit qu’un mot sur le passé : « Qu’avez-vous fait en souscrivant pour Orsini ? S’il n’y avait eu que moi, passe ! Mais il en a tué tant d’autres ! » L’Impératrice se montra très bonne, et Mme Cornu fut admise dans l’intimité de la famille comme elle l’avait été dans celle de la reine Hortense.

Elle usa de sa faveur de façon désintéressée, ne demanda rien pour elle, ne sollicita que pour les savans ses amis. Elle conduisit Ernest Renan chez l’Empereur, lui fit obtenir la Légion d’honneur et une somme de trente mille francs prise sur la cassette impériale pour un voyage en Syrie et Palestine[1]. Elle suggéra d’introduire Littré dans une commission créée pour la Bibliothèque impériale ; l’Empereur consentit, Littré refusa. Enfin ce fut elle qui procura à l’historien de César le collaborateur désiré, Alfred Maury, savant renommé pour son érudition très variée, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, secrétaire de la commission de la Carte des Gaules, dont Saulcy était le président. Comme tous les amis de Mme Cornu, il était ennemi de l’Empire, avait voté pour Cavaignac, et « non » au plébiscite. Malgré la sympathie personnelle que lui inspira la bonté de l’Empereur, il resta virtuellement l’adversaire de ses idées, de sa politique, un homme des anciens partis égaré aux Tuileries.

Dans une première entrevue, l’Empereur le chargea de quelques recherches sur des points d’antiquité romaine. Son travail satisfit ; Fould, ministre d’État et de la Maison de l’Empereur, le manda et lui dit froidement (parce qu’il s’agissait d’une nouvelle dépense) : « Vous êtes nommé bibliothécaire des Tuileries ; comme il n’y a pas de bibliothèque, vous serez attaché à la personne de l’Empereur[2]. » Le nouveau fonctionnaire réunit quelques livres pour qu’il y eût apparence de bibliothèque ; on l’installa dans une pièce placée entre le cabinet de l’Empereur et la chambre du Conseil.

  1. Mai 1860. — Renan, dans une notice reconnaissante, grossit démesurément l’influence de Mme Cornu sur l’Empereur. Elle ne fut à aucun moment ni d’aucune manière son Égérie, ainsi qu’il a l’air de le croire.
  2. 23 octobre 1860.