Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Égyptiaque, va imposer glorieuse et grande. Jourdan écrit très justement : « les personnes éclairées prévoyaient qu’il ne tarderait pas à s’emparer du pouvoir ; le peuple ne voyait en lui qu’un général toujours victorieux, destiné à rétablir l’honneur des armes de la République, » destiné à lui faire goûter ensuite un victorieux repos. C’est pour cela qu’on applaudit beaucoup plus à son retour en vendémiaire qu’on n’applaudira en brumaire à son rapt du pouvoir.

Aujourd’hui, si les paysans de Provence, à flots pressés, l’escortent pendant la nuit avec des torches, pour le préserver des brigands ; si Lyon, dès qu’il paraît, se lève dans un transport de joie, si le peuple danse dans les rues, déroule des rondes folles, illumine les maisons, assiège de cris et d’ovations l’hôtel où il est descendu ; s’il suffit de son approche pour que dix lieues à l’avance les relais de poste se pavoisent, pour que les villes, les villages, les maisons isolées, les citadins, les paysans arborent les couleurs nationales et prolongent sur les deux côtés de la route une bordure tricolore ; si les populations du Midi et du Sud-Est se serrent éperdument contre lui, c’est qu’elles voient dans sa présence leur sauvegarde contre l’étranger qu’elles sentent près d’elles, derrière les montagnes, et dont les armées menaçaient tout à l’heure de déborder des Alpes. A Fréjus, quand les habitans ont accosté son bâtiment et grimpé à bord, ils ont répondu à ceux qui leur opposaient les prescriptions sanitaires, le danger de la contagion : « Nous aimons mieux la peste que les Autrichiens. »

Ce peuple, sans doute, n’ignore pas que, pour écarter définitivement l’ennemi et conquérir la paix, il faudra fournir un suprême effort, mais on le donnera de bon cœur, puisque Bonaparte est là pour commander. Le tempérament national semble avoir repris subitement son nerf et son ressort. A Nevers, un bataillon de conscrits refusait de partir, faute d’équipement : on leur dit que Bonaparte est en France ; ils demandent à partir tout de suite, tels qu’ils se trouvent : ce ne sont plus les mêmes hommes. Qu’il rassemble toutes ces bonnes volontés, qu’il s’élance à leur tête en Italie, en Allemagne ou ailleurs, pour asséner le coup final, voilà ce qu’on attend de lui d’abord ; après, il fera ce qu’il voudra de la France. Dans le Midi, un orateur populaire l’a harangué en ces termes : « Allez, général, allez battre et chasser l’ennemi, et ensuite nous vous ferons roi, si vous le voulez. » Cette parole, contre laquelle Bonaparte proteste avec une