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qu’il eut avec lui, alors et plus tard, Barante note sa crainte de devoir quoi que ce soit à qui que ce soit, son antipathie pour toute espèce de reconnaissance. « Du reste, je ne remarquai en lui ni reconnaissance, ni affection, ni préférence pour aucune opinion, pour aucun parti, pour aucune classe. Dans sa pensée, il n’avait d’obligation à personne. Les émigrés n’avaient rien fait pour la royauté, et maintenant lui créaient des embarras : les Vendéens n’avaient jamais réussi, et prétendaient être récompensés comme s’ils avaient été vainqueurs. Quant aux étrangers, la reconnaissance lui était amère et se changeait en rancune contre l’indifférence, le dédain, ou les hauteurs montrés par eux à une dynastie fugitive et forcée d’implorer leurs secours. Ce dernier sentiment était exprimé en toute évidence. Il passa en revue presque toutes les catégories du parti royaliste, les arrangeant à peu près de la même sorte. Je ne sais plus à propos de quoi, il me cita une démarche ou un mot du prince de la Trémouille, en s’écriant : « Un grand seigneur, par conséquent un sot ! ... » Ce fut à propos de cette mission (de 1818) que les royalistes prétendirent qu’union et oubli signifiaient : oubli de ses amis et union avec ses ennemis... De même, Louis XVIII se montrait froid envers le tsar, et affectait de le tenir à distance, ne lui conférant même pas l’ordre du Saint-Esprit, feignant de ne point comprendre ses ouvertures pour un mariage de sa sœur avec le duc de Berry : car il se regardait comme étant de race supérieure aux autres familles régnantes, et l’empereur de Russie n’était pour lui qu’un cadet de la maison de Holstein. Cette attitude, si contraire à l’intérêt de la France et de la dynastie, froissa grandement Alexandre et porta ses fruits amers au moment de la seconde Restauration.

Après le départ de l’ile d’Elbe et la rentrée de Napoléon aux Tuileries, Barante donne sans hésiter sa démission. Il note avec impartialité, il observe, il pressent avec angoisse les événemens, les maux que l’Empereur va déchaîner sur notre pays : les flatteries de ce dernier aux hommes de talent qu’il veut enguirlander, sa lutte contre l’impossible, l’anarchie des esprits, la froideur de Paris à l’égard de l’empire libéral, lui inspirent des lettres, des pages d’une tristesse éloquente. Voici, par exemple, comment il explique le fameux article de Benjamin Constant dans les Débats, suivi d’une si piteuse palinodie. « M. Constant était entièrement libéral et inclinait aux opinions républicaines, mais non pas révolutionnaires. Il avait pris M. de la Fayette pour guide et pour