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se dérobent comme ils peuvent, en se réfugiant dans des fonds inconnus, et la topographie des lieux de pêche en est toute bouleversée. Force est d’abandonner la routine, idole impuissante, et de s’adresser à de plus grands dieux.

En outre, la mer n’est plus l’être bizarre et mystérieux, le monstre semi-bête, semi-femme, aux fantaisies tour à tour indulgentes et hostiles, que nos marins se sont plu longtemps à se figurer, d’après d’inconscientes réminiscences des antiques cosmogonies. On sait désormais que, comme toutes les apparences mobiles de l’univers, elle obéit, elle aussi, à des décrets immuables. La science a pénétré quelques-unes de ses lois : on a déterminé la marche des courans, et les vents eux-mêmes ont livré le secret de leurs caprices. Peu à peu s’est édifiée toute une théorie de la mer, que ceux-là seuls continuaient d’ignorer qui avaient le plus intérêt à la connaître. Rien de pratique n’avait été tenté jusqu’à ce jour pour arracher les pêcheurs à leurs vieux erremens. Les notions les plus élémentaires de la navigation au large restaient pour eux lettre close. De là tant de sinistres, tant de barques françaises jetées aux côtes d’Angleterre et d’Espagne ou coupées en deux, stupidement, sur les lignes de passage des paquebots. Il y avait une œuvre de salut à entreprendre, des milliers, des vingtaines de milliers d’hommes à éclairer, à guider, à prémunir contre leur propre vanité et contre la plus effroyable des morts. Cette œuvre, M. Guillard s’y est attelé avec une ardeur d’apôtre, et il l’a menée à bonne fin.

Il a commencé par prêcher d’exemple, devant des auditoires restreints. Bientôt, grâce à ses efforts, grâce aussi au concours de quelques personnalités dévouées, il se créait sur le littoral des sociétés locales d’enseignement professionnel pour les marins côtiers. Informés de cette initiative, le gouvernement, le président de la République l’encouragèrent. Une école de pêche fut fondée à Groix, avec M. Guillard pour directeur.


III

Nous y pénétrons à la suite du maître. C’est l’intérieur d’une classe quelconque : des bancs grossiers, des tables tachées d’encre et de goudron ; çà et là, des cartes, des instrumens de marine, appendus aux parois ; au fond de la salle, une inscription, une seule, tracée en lettres noires sur la chaux de la muraille : « L’alcoolisme,