Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenez-vous massées derrière et ne, vous inquiétez plus de rien. Dieu fera le reste. »

Ce que Dom l’Uzel avait prévu se produisit. L’amiral des Saozons tomba dans le piège. Il prit les ribots pour des canons et, persuadé qu’une artillerie nombreuse s’apprêtait à lui faire accueil, il donna l’ordre de virer de bord. Les Grésillonnes, depuis ce temps, n’ont jamais eu de ses nouvelles.


IV

Ainsi bavarde gaiement notre guide. Nous faisons halte, un instant, sous les vieux ormes ébouriffés qui ombragent la place du bourg. C’est la seule oasis de cette grande terre chauve. Des vieilles tricotent, assises sur des tabourets bas ; des fillettes jouent aux osselets sous le porche de l’église ; un douanier flâne, les mains au dos, avec cet air de héron pensif que donnent aux gens de sa profession les mélancoliques stations nocturnes, le long des côtes. Autour de nous sont les maisons du village, trapues, cossues, avenantes. Des jardinets les précèdent, où poussent à ciel ouvert des plantes exotiques, des phycoïdes, des bégonias, des figuiers de Barbarie, des lauriers-tins. Toutes ces demeures blanches, silencieuses, respirent une paix coquette et comme une élégance fleurie.

De minces ruelles vont s’étoilant dans toutes les directions. Celle où nous nous engageons mène vers le sud. Nous voici dans la région des cultures. Sans cesse nous croisons des groupes de femmes occupées à ramasser des patates dans le creux de leur tablier. C’est à elles qu’incombent, ici, comme dans toutes les îles bretonnes, les soins de la terre. Elles y vaquent, d’ailleurs, avec une singulière beauté de gestes et d’attitudes, et, ni la sveltesse de leur taille, ni la finesse nerveuse de leurs mains n’en paraissent déformées. Une d’elles, qui chantonnait d’une voix merveilleusement pure et profonde, se tait à notre approche, et, comme nous la prions de poursuivre :

— Holà ! répond-elle avec une moue hautaine, ma chanson n’est pas pour les passans.

— Non. Elle est pour Pierre Lopez ! riposte notre guide.

Et il se sauve en riant, tandis que la jeune fille, riant aussi, lui lance une pomme de terre qui fait partir un vol d’alouettes marines des chaumes d’un sillon voisin.