Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement est répréhensible d’avoir laissé un général français se mettre à la tête des troupes pontificales. L’unité et l’affranchissement de l’Italie seront construits sur le sable, si Rome n’est pas la capitale de ce pays. On répète que les intérêts de la France s’opposent à ce qu’il se forme à ses portes une puissance de 25 millions d’âmes, et que c’était la politique de Richelieu ! C’est pour cela que ce ne saurait être la nôtre. Est-ce que depuis lors le monde ne s’est pas transformé ? Et quand bien même les grandes agglomérations se réuniraient, quand il y aurait l’Unité italienne et l’Unité allemande qui vous épouvantent, si les hommes sont animés d’une même foi politique, ils préféreront les arts de la paix qui les unissent à la guerre qui les divise. Mais, dites-vous, l’Unité italienne est un rêve, une chimère, à laquelle personne ne peut croire. Prophètes de malheur, je vous connais, j’ai déjà entendu vos anathèmes, et j’ai vu les événemens en faire justice ! » Il montra alors l’Unité demandée par Pétrarque, Dante ; il lut la pathétique imploration de Machiavel au Rédempteur futur, et s’écria : « Eh bien ! messieurs, ce rédempteur, il est venu, c’est la France qui l’a pris par la main. Elle l’a couronné de sa force, illuminé de son intelligence, conduit à la victoire ; elle l’a baptisé sur le champ de bataille avec le sang de ses enfans, l’a fait asseoir radieux au conseil des nations ! ... »

Ce mouvement superbe achevait une harangue prononcée d’un bout à l’autre avec une ampleur, un charme, une puissance, un art de diction qui stupéfia d’admiration. Jules Favre venait en réalité de se montrer beaucoup plus laudatif pour l’Empereur que je ne l’avais été ; j’avais donné un conseil, il présentait une défense, et j’aurais pu lui dire à mon tour : Vous avez été trop impérialiste ! Je me contentai de le féliciter. D’autres furent moins accommodans ; il fut criblé de sarcasmes par les purs, et s’en montra fort décontenancé. — Il avait eu une conférence secrète avec le prince Napoléon avant son discours ; le lendemain, le Prince lui envoya quelqu’un pour le prier de venir dîner au Palais-Royal où la princesse Clotilde désirait le remercier de ce qu’il avait dit de son père. Jules Favre refusa, tout en ajoutant que, lorsqu’il s’agirait de politique, il serait toujours aux ordres du Prince.