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— Enfin ! Je te cherche partout. Si je n’avais pas rencontré la duchesse, je ne sais comment j’aurais passé le temps.

— Me voici, maman, pardon ! Et, se tournant vers ses amies, très vite, à demi-voix :

— Vous vouliez savoir ce que je pense, ce que je souhaite ? Eh bien ! voilà : Je souhaiterais n’avoir plus à dépendre pour mes moindres actes d’une excellente maman qui se fatigue à me suivre pas à pas et règle ma journée heure par heure. J’ai vingt-quatre ans sonnés et je suis en tutelle autant qu’à quatorze. Oh ! pouvoir sortir seule à ma guise !

— Vous voyez bien qu’il faut se marier. Sortir seule auparavant, ma chère, ce serait se proclamer vieille fille.

— Qu’importe ? être libre seulement, libre !

— Eh ! que feriez-vous de votre liberté ? demande Kate en ouvrant très grands ses yeux bleus. Un garçon, à la bonne heure ! Il peut se permettre les quatre cents coups !

De sa voix tranquillement autoritaire, Mme des Garays répète :

— Allons, Marcelle, allons !…

— Elle est originale, disent en chœur ces demoiselles, quand la mère et la fille ont disparu.

Et ce mot d’originale est prononcé avec la vague méfiance qu’on a partout pour ce qu’on ne comprend pas. Marcelle des Garays a toujours été, en effet, différente des autres. Déjà, elle éprouve qu’être exceptionnelle, si peu que ce soit, implique une condamnation à l’isolement. Marcelle n’a ni pareille ni confidente parmi les jeunes filles de son monde, point d’amitié, sauf une prédilection qui ne peut porter ce nom, vu l’inégalité d’âge et d’intelligence, une prédilection protectrice, presque maternelle, pour Nicole. En revanche, on la sait très liée avec une donneuse de leçons, comme disent dédaigneusement ces demoiselles, qui a le tort plus grave d’étudier la médecine. Une future doctoresse, quelle horreur ! Sans doute, le colonel des Garays et le père de Lise Gérard ont été compagnons d’armes, mais cela ne suffit pas à expliquer de pareilles préférences. Bizarrerie toute pure, désir peut-être de se singulariser, de jouer aux grands sentimens. Elle est un peu socialiste, cette Marcelle, avec ses engouemens pour les gens qui travaillent, son tranquille dédain pour les autres, ses théories subversives sur le rang et la richesse !

Dans les salons, cependant, la foule commence à s’éclaircir au