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l’exemple, du milieu, de l’éducation, sans se douter qu’il y a des idées, bonnes ou mauvaises, qu’on ne prend qu’en soi-même et qui résistent à tout. Marcelle avait les velléités d’indépendance d’un jeune cheval échappé. Son ambition fut, presque dès l’enfance, de faire quelque chose, d’entreprendre n’importe quoi.

— Mais, maman, si nous sommes devenues pauvres, comme vous le dites, je n’ai qu’à travailler, — travailler pour vous et pour moi. Cela m’amusera tant !

Ces aspirations paraissaient à Mme des Garays aussi vulgaires que saugrenues. Elle essayait de lui prouver qu’une fille bien née se déclasse en gagnant sa vie ; mais Marcelle de répondre avec irrévérence : — Alors il me manque d’être garçon, ou seulement un peu plus pauvre encore ; tenez, comme Lise,… pour pouvoir me déclasser tout à mon aise.

La conduisait-on au théâtre, elle s’exaltait sur la beauté d’une vocation d’artiste : Être grande tragédienne, quelle ivresse !

— Mais, mon enfant, ce sont les filles de concierges qui vont au Conservatoire.

— Elles sont bien heureuses, ripostait Marcelle.

Être ouvrière, marchande, fermière, institutrice, tout lui paraissait plus intéressant que le rôle d’une « Madame » vouée à faire des visites et à en recevoir.

— Son père aurait peut-être trouvé le moyen de discipliner cette nature-là, gémissait Mme des Garays, quoiqu’il l’ait terriblement gâtée toute petite. Moi, je suis comme la poule qui a couvé un œuf de canard ; je regarde cet oiseau étranger avec des étonnemens toujours nouveaux ; il ne m’est certes pas une consolation.

L’idée ne la frappa jamais que le tempérament héroïque du colonel des Garays eût pu devenir chez sa fille besoin irrésistible d’action dans une autre sphère et sous d’autres formes. Non, toute fille bien élevée, devait, selon cette mère intransigeante, aboutir à un certain type dont Marcelle s’écartait autant que possible. Elle constatait sans aucune joie les progrès remarquables de son intelligence : — À quoi bon ? Le lot d’une femme n’a rien de commun avec celui d’un fort en thème. Les femmes ne s’ouvrent pas de carrières. Trop de talens ne servent chez elles qu’à effrayer les hommes.

— Robert la trouve supérieure ! répondait Mme Hédouin avec sa déférence habituelle pour toute opinion masculine.