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qui ne pouvait monter à cheval, les dissensions entre chefs qui se jalousaient ou se soupçonnaient, la faiblesse de Chamillart dont la main ne savait pas remettre chacun à sa place, et par-dessus tout le génie supérieur du prince Eugène, suffisent parfaitement à expliquer les revers de la campagne de 1701. Quant à la trahison diplomatique, il est bien certain que Victor-Amédée la portait déjà dans son cœur et qu’il ménageait, sinon sa personne, du moins ses troupes. Encore incertain sur le point où il trouverait, suivant l’expression qu’il avait toujours à la bouche, ses avantages, de nouvelles fautes, dont Louis XIV ne devait pas être seul responsable, allaient le jeter définitivement du côté de l’Empire.


II

Pas plus qu’il n’avait su rétablir les affaires militaires que Catinat avait compromises, Villeroy ne parvint à imposer l’unité et l’entente aux trois chefs de l’armée des Deux Couronnes. Victor-Amédée n’aimait pas Catinat, mais le souvenir des rudes leçons qu’il avait reçues de lui à Staffarde et à la Marsaille lui imposaient le respect. Il n’en fut pas de même avec Villeroy, dont les manières arrogantes l’indisposèrent d’autant plus vite que rien ne les justifiait. Bientôt il se plaignait de lui à Phelypeaux. « M. le maréchal de Villeroy, lui disait-il, n’entend rien à la guerre, au moins à celle de ce pays-ci. C’est un impertinent, dont les faux et grands airs ne conviennent qu’avec des subalternes. La distance infinie qui est entre nous me le fait mépriser comme je le dois. Il est trop familier. Il escoute ce que je dis et répond en ricanant et en hochant la teste. Si cependant il continue, je saurai le mettre au pas et le faire rentrer dans son devoir. » Et Phelypeaux continue sa dépêche par le récit d’une scène qui fit grand bruit, car on la trouve rapportée dans Saint-Simon. Le duc de Savoie, causant avec Villeroy et d’autres généraux, ouvrit sa tabatière et allait prendre une pincée de tabac. Villeroy, allongeant la main, en prit également, sans que la tabatière lui eût été présentée. « M. de Savoie rougit, continue Saint-Simon, à l’instant renversa sa tabatière par terre, et puis la donna à un de ses gens à qui il dit de lui rapporter du tabac[1]. » A son

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. IX, p. 84.