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Le bruit s’était répandu, au mois de juin 1703, que les flottes anglaises et hollandaises réunies allaient venir croiser dans la Méditerranée, et que Victor-Amédée, sous prétexte qu’il était en guerre avec l’Empire seul, mais non point avec l’Angleterre ou les Pays-Bas, leur donnerait abri dans la baie de Villefranche. Louis XIV écrivait à Vendôme que, si ce bruit se confirmait, et si les troupes du duc de Savoie faisaient quelques mouvemens suspects, il ne devait pas hésiter à les désarmer[1].

Ce fut à cette idée du désarmement qu’il en revint lorsque la trahison du duc de Savoie devint certaine pour lui. « Il n’y a aucun doute, écrivait-il à Vendôme, que M. le duc de Savoye n’ait traité avec l’Empire » ; et il lui prescrivait en conséquence toute une série de mesures à prendre pour le désarmement des troupes savoyardes qui étaient avec lui au camp de San-Benedetto. Il lui recommandait en particulier de s’emparer des chevaux de la cavalerie, sauf à rembourser plus tard aux officiers la valeur de leurs montures, et de répartir les soldats dans les places fortes. « Lorsque vous serés en état d’agir, ajoutait-il, je feray dire au duc de Savoye que je n’ay aucune intention de me rendre maître de ses estats, mais seulement de le mettre hors d’estat de faire un mauvais usage des trouppes qu’il a levées à mes dépens. » Deux jours après, il donnait à Vendôme des ordres encore plus formels. Il l’engageait à réunir un conseil de guerre et à profiter du moment où les principaux officiers seraient réunis pour les arrêter tous ensemble. Mais il fallait que le désarmement eût lieu à tout prix. « Tâchés cependant, ajoutait-il, d’éviter une scène sanglante[2]. »

Vendôme, sans faire aucune difficulté, demandait cependant du temps pour prendre ses mesures, et Louis XIV employait ce temps à poursuivre la négociation avec le duc de Savoie au sujet du Milanais. Il répugne de croire que cette négociation (ainsi que Victor-Amédée ne devait pas manquer de l’en accuser), n’eût d’autre but que de masquer l’acte de violence auquel il se préparait. Louis XIV semble bien avoir conservé l’illusion que Victor-Amédée, réduit à l’impuissance, romprait définitivement avec l’Empereur et prêterait les mains à l’ancien arrangement dont la mort de Charles II avait arrêté la conclusion, c’est-à-dire la cession à la France de Nice et de la Savoie, en échange de

  1. Dépôt de la Guerre, Italie, 1640. — Le Roi à Vendôme. 24 juin 1703.
  2. Dépôt de la Guerre, Italie, 1641. — Le Roi à Vendôme, 10 et 12 sept. 1703.