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silhouette des figures ; ils n’ont pu peindre l’atmosphère qui enveloppe, qu’en dénaturant la substance qui est enveloppée et en un mot faire « chanter la couleur » qu’en faisant taire le dessin.

Dans la plupart des tableaux impressionnistes, il n’y en a plus et, si ce défaut est moins sensible ou plus excusable quand il s’agit d’un paysage, surtout des paysages amorphes des environs de Paris ou nulle montagne ne donne un intéressant profil, il n’en va pas de même avec la peinture de figure et surtout avec le portrait. Le but du portrait est de nous montrer ce qu’un être humain a de plus personnel, de plus intime, de plus lui. En le peignant en plein air, sous bois, tatoué par l’ombre des branches, bariolé par les reflets, l’impressionniste nous montre ce qu’il a de plus superficiel, de plus influencé par son milieu, de plus autre. Le but du portrait est d’abstraire le modèle de son milieu afin de montrer en quoi il diffère de son milieu. La thèse impressionniste oblige le peintre à le replonger au contraire dans ce milieu comme dans un bain multicolore, à éparpiller son âme parmi les âmes diverses des choses, à couvrir sa voix par le murmure des êtres, à éclipser son regard par le rayonnement des fleurs, en un mot à le faire s’évanouir dans le grand Tout. L’homme n’est plus que le produit du « milieu » où on l’a mis et du « moment » où on l’observe. Aussi ne trouve-t-on guère de bons portraits dans toute l’école impressionniste, et parmi eux, il n’en est pas un qui puisse être comparé, je ne dis pas à ceux d’Ingres ou de Reynolds, mais tout simplement à ceux de M. Benjamin-Constant.

Fatal à la figure, le sentiment impressionniste est-il favorable au paysage ? Oui, sans doute, mais non à tous les paysages, ni à tous les momens. Ce que l’impressionnisme rend merveilleusement, c’est le plein soleil, c’est l’heure où tout ce qui vit danse dans la lumière, où, voyant tout, l’on voit mal. C’est l’accablement de la chaleur, c’est midi, l’heure de la sieste et des bras lassés par le travail. C’est de toutes les heures du jour celle que le rural connaît le moins. Car c’est celle où il repose. Mais en même temps c’est l’heure que l’artiste citadin connaît le mieux et qui représente pour lui l’instant typique de la Nature. Il est parti de Paris par le train du matin, il y rentrera par le train du soir, il ne voit la campagne qu’en plein midi. Il a un éblouissement. L’impressionniste mieux qu’aucun autre lui peint cet éblouissement, il le retrouvera rue Lepeletier. Il est grisé, enivré comme les héros de Maupassant dans sa Partie de campagne. Cela, l’impressionniste