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FRÈRES DE LA MISÉRICORDE


Spectres en robe d’ombre au capuchon baissé,
Ce ne sont qu’hommes noirs, une bière à l’épaule.
A les voir, l’air moisi de la tombe vous frôle.
Les sinistres porteurs s’en vont d’un pas pressé.

Dans la via dallée et sur la place herbeuse,
On dirait que le même et mystérieux vent
Roule en son tourbillon le mort et les vivans,
Avec leurs chants hâtifs et leurs torches fumeuses.

Solitaire parmi le silence des ans,
La ville au vaste corps de pierre agonisant
Tout doucement achève elle aussi de s’éteindre,

Cependant qu’à travers les marbres endormis,
— La mort toujours s’étend et la vie a beau feindre, —
Courent éperdument ces convois de fourmis.


LUNG’ARNO


Les vieux palais debout le long du fleuve noir
Sont comme des témoins aveugles et moroses.
Avec les yeux vitreux de leurs fenêtres closes.
Ils regardent couler l’eau lente dans le soir.

Est-ce que leurs murs las se souviennent d’avoir,
Cœurs lointains, tressailli sous le sang et les roses ?
Ils se meurent de la touchante mort des choses ;
Le soir tombe, l’eau coule ; ils regardent sans voir.

Soir d’encre, eau lourde, quais déserts. Les réverbères
Alignent leurs cordons de torches funéraires...
D’autres torches soudain, un cortège, des chants,

C’est à toute vitesse un cercueil qu’on emporte.
Et les mornes palais décrépits et penchans
Contemplent fuir la vie et descendre l’eau morte.