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fois son parti arrêté, il ne reculait pas et allait jusqu’au bout sans regarder en arrière ; la crainte d’un danger, au lieu de le retenir, le poussait plus vite du côté où on le lui montrait. Il ne se croyait pas rapetissé par la haute valeur de ses auxiliaires, assuré que, quelque grands qu’ils fussent, il les dépasserait toujours de sa tête de roi. Il sut les choisir : il leur demandait beaucoup et savait leur inspirer la passion de le bien servir, ne les abandonnait pas quoi qu’on dît et fît contre eux, leur témoignant sa reconnaissance par des attentions délicates et persévérantes, et, même dans les emportemens dont il ne sut pas se défendre en quelques circonstances exceptionnelles, ne les blessant par aucune parole irréparable. Il apportait à son gouvernement un scrupuleux esprit de justice et d’humanité, n’aimant pas à sévir, toujours disposé à accorder des grâces et répugnant autant que Louis-Philippe à signer l’ordre d’une exécution.

L’homme privé était aimable, galant envers les dames, d’un abord facile, non vindicatif quoique rancuneux : égal d’humeur, doux de caractère, préoccupé de ne pas faire de la peine, aimant à obliger, sûr, d’une stricte économie, quoique sachant à l’occasion déployer les splendeurs royales, ne jouant ni ne fumant. Il ne voyait aucune incompatibilité à être à la fois chrétien et franc-maçon ; il avait suivi avec assiduité les travaux des Loges de 1840 à 1850 ; être franc-maçon était à ses yeux un titre de recommandation, et pourtant sa religion n’était pas tiède ; il demandait un jour à Bismarck : « Qu’entend-on au juste par le mot orthodoxe ? — C’est quelqu’un, répondit celui-ci, qui croit que Jésus-Christ est le fils de Dieu, et qu’il est mort pour nous, victime de nos péchés. — Comment ! s’écria le roi, y a-t-il un homme assez abandonné de Dieu pour ne pas croire cela ? » — Dans sa jeunesse il fut romanesque, et sans l’interdiction formelle de son père, il eût contracté un mariage d’inclination. Il épousa par ordre Augusta de Saxe-Weimar, princesse intelligente, beaucoup et bien parlante, d’une âme haute et généreuse, qui s’était épanouie au souffle de Goethe et qu’une culture exceptionnelle avait rendue poétique, littéraire, éprise de tous les arts et de toutes les sciences, sans en excepter la politique. Il y avait trop de poésie dans cette femme d’idéal pour ce roi soldat, et quoiqu’elle ne fût pas sans influence, ils vécurent dans des relations souvent troublées[1].

  1. Voir les intéressans Souvenirs de Madame Carette, t. III, ch. Ier, une des femmes les plus belles et les plus intelligentes de la Cour impériale.