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pas le roi qui gouverne, c’est le bureaucrate, l’aide de camp de Sa Majesté, la femme ou la maîtresse. Il considérait le régime constitutionnel comme la seule forme acceptable du gouvernement monarchique ; il lui paraissait très désirable et très nécessaire que la politique fut publiquement discutée devant une grande assemblée de représentans du peuple, investie du pouvoir de faire les lois, d’établir les impôts, d’arrêter par un veto la prodigalité, les folies royales, de combattre l’étroitesse d’esprit bureaucratique, l’abus des protections masculines et féminines, enfin d’arracher des yeux du roi les œillères qui l’empêchent d’embrasser d’un coup d’œil sûr sa tâche dans toute son étendue[1] : il en était arrivé, sur la nécessité d’une libre critique par la presse et le parlement, au point où s’était placé Cavour dès son début. Ainsi les deux hommes d’État qui ont opéré deux si grandes révolutions nationales n’ont pas cru que la suppression des libertés publiques augmenterait leur force !

Tout en reconnaissant la nécessité d’un pouvoir parlementaire, Bismarck le concevait autrement que Cavour : il acceptait sa coopération, non sa souveraineté. L’indépendance du roi dans le choix de ses ministres, dans la direction de sa politique lui paraissait le caractère propre de la monarchie : dès que le chef de l’État est asservi à la loi des majorités, fût-il héréditaire, on est en république aussi bien que s’il était électif. Il approuvait donc le roi de ne pas subir la domination des députés, mais il ne lui conseillait pas de déchirer la constitution et de fermer le Parlement : il fallait le laisser se réunir, parler, voter, essayer de le ramener, et s’il s’obstinait, agir sans s’inquiéter de ce qu’il dirait ou voterait, sauf à régulariser plus tard les irrégularités. Ces idées convenaient tout à fait au Roi, et sur la politique intérieure, on se trouva d’accord.

Sur la politique allemande, qui était alors pour la Prusse presque toute la politique étrangère, on s’entendit moins bien. Le Roi était blessé que l’Autriche considérât la Prusse comme une personne qu’on n’admet pas, et nourrît l’arrière-pensée de la ramener à la subordination d’avant la guerre de Sept ans. Il s’indignait, le bon apôtre, qu’elle inspirât aux Princes le soupçon que son unique pensée fût d’arrondir son territoire et d’annexer ses voisins, il désirait la fin de cette politique de défiance, il ne

  1. Discours des 9 juillet 1879, 14 mars et 26 novembre 1884, 26 mars 1886, 24 janvier 1887. Il y revient sans cesse dans ses Mémoires, notamment t. 1er, p. 20 et suiv.