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proverbiale[1]. » Il avait le droit de le penser dès ce moment, après l’accueil ingénu qu’il recevait parmi nous.

A mesure que la saison chaude chassait de la capitale les ministres, la cour, les diplomates, les hommes politiques et fermait les salons, Bismarck trouvait le séjour de Paris pesant : il était seul, sans sa femme et ses enfans, sans ses équipages, restés en Poméranie ; il s’énervait de cette existence « de rat dans un grenier vide, ou de chien errant avalant la poussière chaude de Paris, bâillant aux cafés et aux promenades. » Il alla passer quelques jours à Londres, puis revint, énervé de ne recevoir aucune nouvelle de Prusse. Le roi ne se décidait ni à l’appeler ni à l’écarter ; la perspective de lui confier les Affaires étrangères, le seul ministère qu’il eût accepté volontiers, l’épouvantait toujours ; Bismarck partit en voyage dans le Midi « afin de faire provision de forces avant d’entrer dans la galère. » Il ne tarda pas à oublier ses raisonnemens philosophes et à se tourmenter de l’indécision où on le laissait ; on lui avait promis qu’il serait fixé au bout de six semaines ; les semaines s’écoulaient et on ne lui disait rien. Enfin à sa rentrée à Paris, il trouva une dépêche de Boon du 18 septembre : « Periculum in mora, dépêchez-vous. L’oncle de Maurice Henning[2]. » Il partit immédiatement et arriva à Berlin le 20 au matin.


X

Le Landtag, malgré les négociations, n’avait pas désarmé. La commission parlementaire proposa de rayer du budget de 1862 toutes les dépenses pour la transformation de l’armée et de la flotte et de déclarer nulle légalement la constitution actuelle de l’armée prussienne. Ces propositions radicales, même subversives, furent adoptées, à la suite d’une discussion des plus violentes de sept jours, à la majorité de 308 contre 11 (23 septembre 1862).

Toute cette longue lutte, qui durait sans interruption depuis le commencement de 1860, soit avec ses ministres, soit avec le Landtag, soit avec l’Autriche et la Diète, soit avec sa famille et une partie de sa Cour, avait brisé les forces physiques et morales du Roi, qui cependant était un vaillant. Quand Roon lui écrivait :

  1. Discours du 30 novembre 1864.
  2. Henning était le second prénom de Maurice de Blankenbourg, neveu de Roon.