me soumettre à la volonté de la majorité actuelle du Landtag, et je ne trouve plus de ministres disposés à me soutenir contre elle ; aussi, me suis-je décidé à abdiquer, » Il lui montra sur sa table un acte d’abdication écrit de sa main. — Bismarck répondit : « Votre Majesté a tort de se croire abandonnée ; dans tous les cas, elle ne l’est pas par moi ; depuis le mois de mai, je suis prêt à entrer dans le ministère, Roon y demeurerait avec moi, et je remplacerai ceux que mon entrée ferait sortir, — Etes-vous prêt, lui demanda le Roi, à soutenir comme ministre la réorganisation de l’armée ? — Oui. — Êtes-vous prêt à la soutenir contre la majorité du Landtag ? — Oui. — Alors mon devoir est de tenter avec vous la continuation de la lutte. Je n’abdique plus. »
La conversation continua dans le parc. Le Roi lut un programme, qui remplissait huit pages in-folio d’une écriture serrée, plein de toutes sortes de promesses. Bismarck l’interrompit : « Il ne s’agit pas de nous gêner par un programme et par des concessions qui ne désarmeront personne. Si nous continuons les erremens du passé, je viendrai refaire les discours qu’on a déjà faits avant moi, je serai en minorité comme mes prédécesseurs l’ont été, je m’userai ; Votre Majesté sera obligée de me renvoyer et tout ira de mal en pis. Nous ne pouvons sortir du conflit actuel que par une guerre ; il faut nous y préparer : il en est une indispensable, facile à amener dès que nous y aurons rendu les puissances favorables, celle avec le Danemark. Si Votre Majesté désire que j’en organise une autre (et en lui-même il pensait à celle avec l’Autriche), je suis prêt à y travailler ; j’aiderai Votre Majesté à repousser le régime parlementaire, même par la dictature, ou je périrai avec elle ; mais pas de programme et une guerre.» Le Roi déchira son papier en petits morceaux[1]. Son aspect devint tout autre ; il s’était relevé, portait la tête haute et marchait d’un pas ferme. — Le jour même, il nomma Bismarck ministre d’Etat et président intérimaire du Conseil en attendant la retraite du Prince de Hohenzollern, légalement titulaire (22 septembre 1862).
- ↑ Tout cela est terne dans les Mémoires. Mon récit est la reproduction de conversations de Bismarck lui-même avec la personne autorisée de qui je le tiens.