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en dénigremens, en sarcasmes, sans bienveillance pour personne si ce n’est pour lui-même, poussant toujours ses jugemens sur les autres à la caricature, non satisfait de vaincre, poursuivant le vaincu de ses insultes, de ses calomnies, en tout vraiment semblable aux barbares, ses lointains ancêtres, dont un ancien a dit : « in summa feritate versutissimi natumque mendacio genus[1], rusés dans leur férocité et nés pour le mensonge, » Tel qu’un chêne de fer, tout en branches rigoureuses, sans feuilles ni ombre, il s’élève, haut, menaçant, terrible, au-dessus du troupeau des barbouilleurs de protocoles et de dépêches, des monarques en déroute et des peuples écrasés.


XII

On retrouve formulés par lui-même en maximes quelques-uns des traits de caractère que nous a appris l’observation de ses actes : « Quand j’ai un ennemi en mon pouvoir, je l’exécute. — En politique il n’y a pas de place pour la pitié[2]. — Varnhagen est vain et méchant : qui ne l’est pas ? Il ne faut pas compter sur les hommes et je suis reconnaissant de chaque trait qui me replie sur moi-même. Il n’y a sur la terre que jonglerie et hypocrisie[3]. — En politique on ne fait rien pour autrui sans y avoir un intérêt quelconque[4]. — Je tiens pour un misérable lâche le ministre qui, au besoin, n’expose pas sa tête et son honneur pour sauver sa patrie, même contre la volonté des majorités. La légalité nous tue, et justement son contrepoids est dans le droit de défense que possède l’Etat si son existence est mise en danger ou en doute. — Grise est la théorie : il n’y a de vert que l’arbre brillant de la vie, sous lequel j’ai recueilli mes expériences. — La politique n’est pas une science qu’on peut apprendre. comme beaucoup de professeurs se l’imaginent, elle est aussi peu une science que le sont la sculpture et la peinture. On peut être très fin critique et pourtant n’être pas un artiste, et Lessing lui-même, maître de tous les critiques, n’eût jamais entrepris de faire un Laocoon ; c’est un art, et celui qui ne le possède pas fait mieux

  1. Velleius Paterculus. Lib. II, CXVIII.
  2. Beust, Mémoires, Busch, t. Ier, p. 129.
  3. A sa sœur, février 1862. A Manteuffel, 22 août 1860, à Mme de Bismarck, 2 juillet 1859.
  4. Mémoire du 27 juin 1857.