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pressions sur Pouchkine et que le comte Basile cherchait des cigarettes, elle vint lui donner des nouvelles de leurs connaissances communes. Mme Helmann avait dû payer pour son gendre des dettes de jeu considérables ; l’aînée des Belcar avait fait un voyage de huit jours à bicyclette en compagnie masculine, sans autre chaperon que Mme de Brécé, dont on disait du mal de plus en plus. Et Claire de Vende avait toujours le même faible pour les militaires. Elle s’était écriée, quand Mme Hédouin avait montré la dernière photographie de son fils, faite à Tunis : « Il est plus beau que jamais ! »

À ce mot Jean Salvy, qui apparemment n’était pas tout entier aux poètes russes, et n’écoutait que d’une ereille le traînant ramage de la comtesse, tourna la tête :

— Je ne savais pas, dit-il à Marcelle, que votre cousin fût un Adonis.

— Ah ! répondit-elle négligemment, il n’a rien d’un Adonis, mais il a en effet une figure qui prévient en sa faveur avant même que l’on sache tout ce qu’il vaut.

— C’est votre mari que je trouve charmant, reprit Kate à demi-voix. Que vous êtes heureuse, chère ! Quand je pense à votre éloignement du mariage, autrefois… La fortune nous vient vraiment en dormant. Je dis nous, hélas ! pour les privilégiées qui reçoivent ce qu’elles n’ont ni cherché, ni même voulu, tandis que beaucoup d’autres…

Elle poussa un profond soupir dont la tristesse effaça chez Marcelle, toujours prompte à la sympathie, toute trace de ressentiment.

— Ayez confiance ! dit-elle, en lui prenant la main. Mme Chestoff paraît bonne…

— Gracieuse dans le monde, oui, mais c’est le caprice même. Et elle a toutes les manies imaginables : une personne qui ne dort jamais, qui se lève passé midi. Il faut lui faire la lecture une partie de la nuit, déjeuner seule en face de ce jeune benêt qui ressemble à un petit serin avec ses cheveux jaunes… vous voyez d’ici les inconvéniens, — puis accompagner la mère de boutique en boutique jusqu’au soir. À moins qu’elle ne vous demande un peu de piano pour la préparer à la sieste… C’est sa manière d’aimer la musique. Les commencemens à Paris m’étaient insupportables ; en voyage tout s’arrange. Mais je pense avec effroi à ce que sera mon sort dans ce pays perdu : la comtesse s’ennuyant,