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européennes, fort éprouvées par le gros effort fait en pleine saison des pluies[1], le général Gallieni activait la formation des troupes et milices indigènes. Dans les premiers jours de janvier, les courriers commencèrent à pouvoir circuler sur la route de Majunga et l’Emyrne se trouva à peu près complètement dégagée. Un mois plus tard, on ne signalait plus de troubles appréciables que dans les régions ouest et nord-est de l’île.

Fallait-il s’en fier aux résultats acquis et attendre le retour de la saison sèche, époque normale des désordres et des déprédations, au risque d’être de nouveau surpris par l’événement comme on l’avait été un an plus tôt ? Le général Gallieni ne le pensa pas, d’autant que, si la masse de la population semblait se rallier sincèrement à la cause française, certains symptômes indiquaient que l’hostilité subsistait, plus ou moins sourde, là où nous l’avions toujours rencontrée : à la cour, qui ne se consolait pas d’être tenue en tutelle et subordination ; chez les nobles, que l’émancipation des esclaves privait de leurs revenus agricoles, et que l’arrivée des prospecteurs européens dépouillait des ressources qu’ils tiraient autrefois de la poudre d’or ; chez certains fonctionnaires indigènes, que la régularité de nos procédés administratifs empêchait de se livrer aux exactions habituelles dont ils avaient tiré naguère le plus clair de leur fortune. Autant de mécontentemens latens, que le moindre accident pourrait réveiller, et qui, si l’on n’y mettait bon ordre, empêcheraient le général Gallieni de quitter Tananarive en avril, ainsi qu’il en avait le désir, pour inspecter la côte.

Rien n’est attachant comme de suivre, pour ainsi dire au jour le jour, dans ses télégrammes et ses rapports, l’évolution de la pensée du général Gallieni, à mesure que son esprit attentif recueille des impressions nouvelles, cherche à en dégager des conclusions, élabore des solutions, et se décide enfin, pour agir ensuite avec une précision et une rapidité égales aux précautions et aux délais qu’il a d’abord fait subir à ses méditations. Rien ne montre mieux non plus combien, dans l’accomplissement de sa tâche, il laissait peu de place à l’improvisation, subordonnant à des calculs pénétrans jusqu’aux moindres nuances de ses actes.

« Je dois reconnaître, écrit-il dans son rapport officiel du 12 novembre 1896, que, si la reine ne nous aime pas, ce qui

  1. A la fin de décembre, il y avait 700 malades dans la garnison ; fin janvier 1897, il y en eut près de 1 000.