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ils reconnaissent, d’ailleurs, et j’ai des renseignemens précis à ce sujets les bienfaits d’une administration régulière édictée par nos idées de justice et de libéralité, et j’ai tout lieu de penser que la majorité de la population serait peinée de voir revenir l’ancien état de choses dont le peuple a eu tant à souffrir. Toutefois, je le répète, cette évolution sociale a besoin d’être conduite avec la plus extrême prudence ; elle est l’objet de mes préoccupations incessantes, et je ne néglige aucun moyen pour éviter une erreur, dont la moindre serait un désastre au point de vue de la pacification, le but primordial à atteindre. »

Quelques semaines passent, l’idée se précise. Le général Gallieni télégraphie le 17 février : « La pacification est entravée par des menées… sourdes qui semblent avoir pris recrudescence. L’opposition et la résistance se font sentir du côté de la reine et de la caste noble, tandis que les anciens esclaves et la caste bourgeoise se rapprochent de nous. » Puis le 20 encore : « Il me paraît impossible de conserver pendant longtemps l’institution de la royauté, qui est gênante pour l’application du programme de pacification et qui est exploitée par les ennemis de la domination française. La reine est toujours à la tête de la caste noble et privilégiée, qui est irréconciliable. » Et enfin, le 27 : « Devant l’inertie de la reine, l’hostilité sourde de certains étrangers et de la caste noble, et la persistance des chefs de bande, selon toute probabilité, à se servir du nom de la reine pour entretenir la méfiance contre nous et préparer de nouveaux troubles au printemps, je me décide à abolir immédiatement la royauté dans l’Emyrne ; en conséquence, j’invite aujourd’hui la reine à résigner ses fonctions : elle quittera Tananarive demain pour Tamatave, où elle s’embarquera pour la Réunion… Les difficultés que rencontrent les communications urgentes m’ont empêché de demander votre assentiment préalable. »

Ces difficultés étaient telles, en effet, que le télégramme précité du 20 février n’était parvenu à Paris que le 1er mars, et que la réponse du gouvernement, où l’on indiquait que la déposition de Ranavalo semblait encore prématurée, à moins de chefs d’inculpation très précis, partie de Paris le 2 mars, ne joignit que le 19 le général Gallieni, c’est-à-dire près d’un mois après les événemens accomplis[1].

  1. A la fin de mars arriva à Paris le rapport de quinzaine du général Gallieni, en date du 26 février, qui expliquait mieux les circonstances auxquelles il avait obéi. Il s’exprimait ainsi :
    « Comme je vous l’ai déjà dit, cette attitude se manifeste surtout chez les castes nobles, élèves des missions britanniques, et même au palais, où, malgré ses protestations de fidélité, la reine Ranavalo semble consentir difficilement au rôle nouveau qui lui est imposé. Les chefs des bandes insurgées qui luttent toujours contre nous, ainsi que les représentans des familles andrianes (nobles) affectent de n’agir qu’au nom de la reine, tandis que les anciens esclaves et la plus grande partie de la bourgeoisie, sur lesquels il est de bonne politique de nous appuyer, ne se rallieront complètement à nous que lorsque aura disparu ce dernier vestige de l’ancienne domination hova. Quelques individus même de ces castes ont exprimé à nos commandans de cercle et à moi-même leur appréhension à ce sujet et leur désir de voir annuler le pouvoir de l’ancienne famille royale. Malgré tout, j’aurais persisté à conserver Ranavalo comme souveraine de l’Emyrne. Mais, je vois qu’elle ne peut se soumettre encore à sa nouvelle situation, et en vue de nouveaux troubles à prévoir pour le printemps, je vais me décider à la déposer, afin d’en finir avec cette situation, qui ne saurait durer plus longtemps sans gêner considérablement notre œuvre de pacification.
    Dans une lettre privée de même date au directeur des affaires d’Afrique, le général ajoutait : « Tant que la reine Ranavalo subsistera, personne, parmi les Malgaches, ne croira encore au nouvel état de choses. Au premier Incident grave, on se soulèvera encore en son nom. De plus, malgré mes avertissemens le Palais est toujours un foyer d’intrigues. Les Malgaches, aussi bien les Hovas que les autres peuplades de l’Ile, ne peuvent comprendre cette juxtaposition de nos deux intérêts.