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bureau ferme à heure fixe, et de plus en plus, en tout pays, il reste fermé le dimanche. Le citadin peut ainsi disposer d’une partie de son temps : précieux privilège, que le cultivateur est loin de goûter au même degré ! Sans doute, il a bien, pour sa part, la longue saison morte et certaines périodes de détente et de loisir relatif ; mais, pendant les beaux mois, levé dès l’aube, il ne s’arrêtera qu’à la nuit, accablé par la fatigue et la chaleur. Le dimanche, le bétail réclame les mêmes soins que les autres jours, et puis ce sont les semailles qui pressent, ou les récoltes qu’il faut serrer sous la menace de la pluie. Le cultivateur est, de la sorte, l’esclave de la glèbe. Ses récréations sont rares ; et l’on ne saurait d’ailleurs souhaiter qu’il en fût autrement, car, à se faire coureur de fêtes ou pilier de cabaret, il aurait vite consommé sa ruine.

Cependant bien d’autres réflexions se pressent encore dans l’esprit du campagnard.

A la ville, les richesses abondent, et, avec elles, les occasions de gains. Un homme intelligent, ayant l’œil ouvert, trouve facilement, dans un centre où se traitent chaque jour tant d’affaires, le moyen d’améliorer sa position. Il y a pour lui des imprévus. Il n’est pas condamné à rester, du berceau à la tombe, dans la même ligne professionnelle, rivé à la même besogne, tournant dans le même cercle. Il peut, sans passer pour un rêveur ou un visionnaire, escompter un peu la chance. Arrive-t-il que ses occupations cessent de lui apporter les encouragemens légitimes, il aura cette ressource d’en chercher d’autres, ou tout au moins d’ajouter quelque corde à son arc.

Mais ce qu’envie le colon des champs dans la situation de l’habitant des villes, c’est moins peut-être le bénéfice d’heureuses aubaines, de petits coups de fortune, dont on n’est d’ailleurs jamais sûr, que l’avantage de recevoir un salaire régulier, d’obtenir la récompense certaine de ses efforts. Que de fois n’est-il pas frustré, lui, habitué pourtant à se contenter de bien peu de chose, dans sa légitime attente ! Il travaille, il fait sa tâche, mais les saisons se suivent sans se ressembler. S’il en est de passables, il en est de désastreuses. Il y a des récoltes qui manquent. Les intempéries, les pluies, la sécheresse, la grêle, la gelée, les para- sites, les maladies du bétail l’attendent. Bien des fois le vers de Saint-Lambert s’est vérifié pour lui :


L’ouvrage de l’année est détruit dans un jour.