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nous dispensent pas de le lire. Il faut commencer par le commencement et aller jusqu’au bout, sans se permettre de distractions en route, sous peine de laisser passer des détails importans et de se gâter son plaisir. Cette fois, d’ailleurs, M, Marcel Prévost, — et nous ne saurions trop l’en féliciter, — s’est presque complètement interdit un moyen de succès dont certains lecteurs lui savaient gré, mais qui rendait un peu difficile l’analyse de ses livres. Nous sommes donc bien à l’aise pour rechercher quels sont, en dehors de cet élément d’intérêt, ceux qu’il a mis dans ce roman en deux parties, et qui ne peuvent manquer d’être nombreux, si nous en jugeons par les proportions de l’ouvrage.

D’après un procédé très usité et très légitime, M. Prévost a rattaché son roman à une question fort à la mode aujourd’hui : celle du féminisme. Ce n’est pas à dire qu’il ait à son tour abordé le problème ; mais il fait de fréquentes allusions à l’Eve future, à la femme nouvelle, à la « new woman dont parle Tennyson ». Même il a placé aux derniers chapitres de Frédérique un discours féministe qui, parait-il, enthousiasma l’auditoire à cause du son de voix de la femme qui le prononça et du magnétisme de son regard ; tant il est vrai que le succès d’un orateur est souvent indépendant de la valeur des choses qu’il débite ! Nous n’étions pas dans l’auditoire ; nous n’avons pas goûté la caresse de cette voix, nous n’avons pas subi le magnétisme de ce regard, nous gardons toute la liberté de notre esprit ; et rien ne nous empêche d’apercevoir la banalité des argumens de cette dame. Traiter une question ou du moins l’agiter dans un roman, c’est nous en apprendre quelque chose et l’envisager à un point de vue tant soit peu personnel et nouveau. M. Prévost ne l’a pas fait, apparemment parce qu’il ne l’a pas voulu. Après Frédérique et Léa, la question reste entière. Tout autre romancier, et M. Prévost comme un autre, s’il lui en prend fantaisie, peut s’en emparer. Peut-être alors aurons-nous l’occasion de la discuter. Aujourd’hui, ce n’en est pas le cas, et nous risquerions de nous détourner de notre objet, qui est de rechercher ce qui fait l’intérêt du roman de M. Prévost.

Quand nous disons le roman, nous faisons tort à M. Prévost : c’est les romans qu’il faut dire, car il y en a plus d’un, il y en a plus de deux, il y en a plus de dix, chacun formant un tout, et on peut raconter chacun d’eux sans empiéter sur les autres. Il y a d’abord le roman de Christine Legay. Cette Christine est la fille d’un pauvre diable de professeur libre : elle est jolie ; elle se laisse séduire par le fils d’un richissime banquier, le jeune d’Ubzac, qui lui a promis distraitement le mariage.