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imaginaire, l’important est qu’ils vivent. Ont-ils une âme, un caractère bon ou mauvais, raisonnable ou absurde, mais bien à eux, une physionomie qui arrête notre attention, se grave dans notre esprit, s’imprime dans notre souvenir ? Tout est là.

Soucieux de donner aux figures une solidité et une profondeur auxquelles il paraît qu’on n’avait pas encore atteint, le roman contemporain s’aide de méthodes d’une justesse et d’une précision croissantes. L’ancienne méthode qui consistait à regarder autour de soi pour décrire ensuite ce qu’on avait vu est tout à fait abandonnée. Elle avait un grave inconvénient : elle supposait chez ceux qui l’employaient le don de l’observation. La science fournit seule des instrumens qui, même entre des mains expérimentées, conduisent à des résultats certains. Balzac avait le premier émis l’idée de rapprocher le roman de l’histoire naturelle. De nos jours, il n’est pas un débutant de lettres qui ne traite le roman par les méthodes de l’histoire naturelle. M. Zola ne connaissait qu’une loi : celle de l’hérédité ; il avait en elle une foi sans limites. M. Prévost, qui est très instruit, dispose de beaucoup plus de ressources. Il fait grand usage de la notion de race : « Deux races sont là en présence, aussi dissemblables que possible, malgré la parenté de sang et l’identité de la langue parlée. L’aînée, de père et mère irlandais, élevée à Galway jusqu’à dix-sept ans, est bien la fille celte aux vives allures, rêveuse et sceptique à la fois, désordonnée, spirituelle et charitable. Edith, née en Angleterre après l’émigration du père Craggs, compromis dans les ligues agraires, façonnée par une mère anglaise et protestante, est l’Anglo-Saxonne nette et raisonnable…» Il sait que le milieu influe sur l’être tout entier, et que le milieu, dans chaque pays, est constitué non seulement par l’atmosphère, le climat, la nature, mais encore par la tradition et la survivance du passé. Transportez dans le Midi un homme du Nord, il y prendra des goûts, des idées, une humeur différentes. Le fait a été maintes fois observé. C’est de l’histoire. M. Prévost sait qu’il y a des lois pour la psychologie, comme il y en a pour la mécanique, et il en parle avec une compétence que nous lui envions : « Qui démêlera les lois d’attirance des âmes, plus mystérieuses, mais aussi infaillibles que celles des mondes inertes ? Si nous jugeons surprenantes certaines rencontres d’êtres destinés à exercer les uns sur les autres une action puissante, n’est-ce pas seulement parce que nous ignorons, parce que nous oublions le nombre infiniment plus grand de vaines rencontres, de forces inutilisées, faute de réaction ? » Les phénomènes d’endosmose lui paraissent tout particulièrement curieux : « Par une