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justifie ou ne s’explique qu’en grand, dans les affaires non personnelles et communes à toute une nation, dans les affaires d’Etat. Alors il est nécessaire, il est juste que ce soit l’homme d’Etat qui prenne en mains le salut de l’État, lequel ne se ferait pas tout seul et se ferait moins encore par des initiatives privées tirant en des voies divergentes vers des lins opposées. Le salut de l’Etat : affaire de l’homme d’État ; le salut de l’homme : affaire de l’homme et de Dieu. Comme chancelier, et dans les choses de ce monde, où l’État est intéressé, Bismarck est très intolérant ; en revanche, il est très tolérant dans les choses de l’autre monde, qui sont de l’âme, et ne regardent ni l’État ni l’homme d’État. Bien que luthérien, il ne se fût jamais jeté dans le Culturkampf pour affirmer la supériorité de l’Église réformée sur l’Église catholique ; il ne s’y jeta que parce qu’il crut un jour, à tort ou à raison, que l’Église romaine menaçait ou contestait en Allemagne la suprématie de l’État prussien.


III

Otez à Bismarck la foi en son œuvre, qui lui vient de sa foi en son roi et de sa foi en sa patrie, lesquelles lui viennent de sa foi en son Dieu, et « il ne restait pas une heure de plus à son poste. » Il quittait Berlin, il s’en retournait à Varzin « voir comment pousse une rave » et « greffer ses arbres fruitiers, ainsi que faisait son vieil oncle, à Templin près Potsdam. » N’aurait-il pas eu « de quoi y vivre, » et même y vivre en « assez grand seigneur, » avec chasses, chiens et chevaux ? S’il n’eût plus gouverné l’Empire, il eût gouverné sa maison, car, avant d’être le type du chancelier allemand, il est le modèle de « l’économe » allemand. Il est le propriétaire foncier prussien, en tout ce que comporte le personnage, à la fois féodal et moderne, patriarcal et pratique, mettant on ne sait quelle rigidité du moyen âge dans le jeu compliqué des tarifs de douane, porté par atavisme à considérer le fermier comme un perfectionnement du vassal et à le traiter en conséquence, non sans bonté, mais sans complaisance ; s’il n’eût pas été le Chancelier de fer, il eût été — faut-il risquer le mot pour ce qu’il a de si vrai, malgré ce qu’on sent bien qu’il a de forcé, et peut-être d’un peu ridicule ? — il eût été le propriétaire, le patron de village, le hobereau, le maître de fer. Dans un tout autre sens que son éphémère ami Lassalle, il a découvert, lui aussi, et