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Ceux qui ne voient point, ni ne résistent, sont les plus heureux, et peu différens des bêtes et des enfans. Ainsi il ne vaut rien d’être homme : car c’est alors que plus l’on vit, et moins l’on accepte. On s’excuse bien d’accepter ce qu’on ne comprend pas, — et toujours mieux que de ne le pas comprendre. Étant ce qu’il est, Pascal trouve doux de se réduire à cet état d’enfant : car combien d’effort n’y faut-il pas ? Mais le cœur n’est jamais assez dénué ; et pour un enfant, il ne lui voit jamais assez d’innocence…

— L’étrange image, cependant, d’un Pascal qui s’exerce à l’enfance…

— Il nous le semble : c’est que nous n’avons pas, comme lui, une raison toute parfaite et toute bonne de faire ce qu’il fait. Il veut être un enfant, parce qu’il ne se sait point sans père. Mais, au contraire, il court à un père divin qui lui ouvre les bras. La douceur est sans pareille d’avoir un père ; s’il est aussi tendre qu’il est puissant, quel salut et quel refuge que ses bras ? Qui ne voudrait d’une telle enfance, qu’accueille une telle paternité ? La grande différence de Pascal à tous les autres, c’est que Jésus-Christ lui est tout, et que tout le reste ne lui est rien. Notre Tolstoï aime tant les raisons et les faits, qu’à peine si la personne de Dieu l’occupe. Il aime tant l’Évangile, qu’il se passe de Jésus-Christ. Mais, pour Pascal, s’il n’y a un Dieu dans l’Évangile, l’Évangile lui paraît presque aussi vide que tout le reste. Pascal est tout homme et tout passion ; il ne connaît que la passion et que l’homme. Il lui faut un homme en son Dieu, et un Dieu dans l’homme. Il en sait les blessures. Il en écoute l’agonie. Il recueille le sang qui coule. Il boit les paroles suprêmes et le dernier souffle. Il s’en enivre. Toute lumière, il la reçoit des yeux divins. Il parle aux plaies qui lui parlent. Dans le sein de la mort, il parle à la vie, qui lui répond par la vie, et le peut seule. Il ne sait pas ce que c’est que le salut sans le Sauveur. Et je ne le sais pas plus que lui.

« Qu’eût-il été, ce grand Pascal, s’il n’avait pas été chrétien ? Il n’eût jamais fait un athée. Il avait trop d’étoffe ; et il avait mesuré que, s’il en faut un peu pour tailler un athée, il n’en faut pas beaucoup pour l’en draper.

« Il faut un Dieu à toute âme puissante. S’il n’avait eu Jésus-Christ, dans l’impuissance d’en avoir aucun autre, il eût donné dans quelque désespoir infini. Il n’avait pas l’âme froide d’un Spinoza, raison parfaite et glaciale. Il était bien trop grand pour