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tifié se mortifie assez pour faire un lit commode à une âme sainte. Mais Pascal prononce des sentences glacées avec une langue et des lèvres brûlantes.

Le fiévreux Pascal livre sa vie froide à ce monde, qu’il ne veut pas aimer ; il réserve les tisons de son âme à l’amour unique et caché qui est tant digne d’être aimé et où la parfaite douleur elle-même est aimable. Tel est l’ascétisme du cœur : il ne ruine point ses passions par esprit de charité. Il n’est que passion pour cette charité. Il est si fort qu’il réclame tout l’homme, sans en retrancher rien, afin de se consacrer, dans toute sa force, à ce qui la mérite toute, et accrue plutôt que diminuée.

L’état de lutte ne saurait aller plus loin. Pascal s’y assied, d’une volonté maîtresse, comme le confesseur de la foi au lieu de son supplice. Pascal n’élude rien. Il ne le daigne pas. Voilà à quoi sert d’être bon géomètre jusque dans la sainteté. Il préfère outrer la rigueur du combat. La difficulté infinie est la séduction suprême pour le cœur d’une force infinie. La passion de Pascal fait la guerre à sa passion, comme au seul ennemi digne d’elle, et elle lui en fournit des armes. Pascal vit dans la fièvre, le tremblement, et les délices tristes de ce cœur qu’il nourrit et qu’il dévore.

Pascal, malade dans sa chambre, est un des plus grands spectacles qu’il y ait de l’homme. Il fait mettre à ses côtés un mendiant, malade comme lui. En d’autres temps, un pauvre ; et, d’abord j’en suis sûr, un homme, quel qu’il soit, c’est toujours un malade. Celui qui souffre dans son corps ne l’est que deux fois. Mais la maladie originelle, et mortelle dès l’origine, qui la guérit ? — C’est la vie.

À l’époque où il n’avait pas rompu avec le monde, l’ami de Pascal devait être son malade. J’imagine que c’était Miton, et surtout parce que Miton devait voir en Pascal son malade. Pascal n’a jamais quitté Miton : il l’avait pris en lui ; il n’en était pas troublé, comme on veut dire : Miton est athée et ne doute pas ; c’est une assez bonne tête. Mais meilleure elle est, mieux Pascal en fait sa cible. Elle est fière de sa raison ; il faut qu’elle le soit : sans quoi, quel profit à l’abattre ?

Ce puissant Pascal va-t-il humilier une pensée affaiblie ? Vous n’en jugez que par vous et vos commodités. Pascal accroît son ennemi, pour l’accabler. Il attend d’avoir si mal aux dents qu’il trouve la cycloïde ; et, du reste, il en propose le problème à toute l’Europe, dans le dessein qu’on ne peut nier d’humilier tout le