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Pascal entretient un commerce familier avec le sépulcre. Voilà encore à quoi la solitude d’une chambre est bonne. Cette intimité avec la fièvre de la mort n’a point du tout la froideur d’une pratique dévote ; à plus forte raison ne l’a-t-elle pas des vues inanimées où les esprits sans vie se plaisent, et beaucoup de philosophes. L’entretien de Pascal avec la mort n’est pas une conversation vaine ; car le sépulcre, où Pascal prête sans cesse l’oreille, n’est pas vide. Pascal, au contraire, y voit couché tout l’univers, qui y tient, et quand il parle, il attend la réponse d’une voix éternelle.

Aussi Pascal peut tout dédaigner ; et, s’il le faut, se soumettre à tout. Car où est le tyran, la chaîne, le supplice même, y parût-il soumis, où son âme en vérité n’échappe ?

Pascal ne sort guère plus de sa chambre que pour se rendre à Port-Royal, ou à l’église. Et, quand il est dans la rue, il vit de même entre les quatre murs de la solitude, comme au moment où on l’y trouve assis.

C’est ce Pascal de la solitude, que je vois parler, un soir d’hiver, à une fille de la campagne, l’ayant trouvée sur la place, errante, jeune et belle, seule, en haillons, presque perdue comme un enfant. Il ne peut la voir, sans penser avec une ardeur égale à sa perte, où elle a déjà le pied, et au salut où il veut la conduire. La séduction de l’innocence est sans pareille pour les esprits qui en connaissent l’espèce fragile. Il la prend avec lui ; il la met entre les mains d’un prêtre, il veille à sa nourriture et à son vêtement ; enfin il est sûr de l’avoir ôtée à l’abîme de la chair, où elle devait tomber. Tant qu’il vit, cette action reste cachée. Mais quand il est mort, on la publie ; et elle n’en reste pas moins voilée aux yeux de ses amis, et de sa sœur qui l’admirent. Ils ne la voient en lui, que comme elle eût été en un autre : et pourtant, quelque saint homme eût été celui-là, il ne pouvait pas être Pascal, ni sage à sa manière. Ce n’est ni par piété froide, et détachée de la créature, quand elle s’attache même le plus à son objet, que Pascal agit, ce soir-là. Ce n’est pas, non plus, par charité pour cette fille : perdue, elle eût peut-être goûté des plaisirs, qui la fuirent sauvée ; elle les eût peut-être préférés à ce qu’ils coûtent ; et enfin, si elle avait eu le choix entre les deux bonheurs, celui de la perte l’eût faite plus heureuse, de son propre aveu peut-être. Car ce monde est plein d’ombres, qui ne souhaitent qu’un peu de vent, pourvu qu’il souffle vers les bords où elles veulent être